Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/294

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extrémités si cruelles. Je fuirai sous sa protection, si sa bonté l’y fait consentir. J’exécuterai toutes mes promesses. Je n’entretiendrai point de correspondances. Je ne vous quitterai pas un moment. Je ne verrai personne. Il faut que je ferme ma lettre, et qu’elle parte sur le champ. Hélas ! Il n’est pas nécessaire de vous dire que je suis toute à vous. Clarisse Harlove.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

lundi, 23 d’avril. Grâces aux soins de votre amitié, mes papiers sont sûrement entre vos mains. Je veux m’efforcer de mériter votre estime, pour ne pas faire déshonneur tout à la fois à votre jugement et à mon cœur. Il m’est venu une nouvelle lettre de M Lovelace, qui paraît furieusement alarmé de l’entrevue que je dois avoir demain avec M Solmes. Les airs, me dit-il, que ce misérable prend déjà droit de se donner à cette occasion, augmentent beaucoup son inquiétude ; et c’est avec une peine extrême qu’il s’abstient de le voir, pour lui faire connaître à quoi il doit s’attendre, si la violence est employée en sa faveur. Il m’assure que Solmes a déjà traité avec les marchands pour des équipages ; et que, dans le nouvel ordre de sa maison, (avez-vous jamais rien entendu de si horrible ?) il a marqué tel et tel appartement, pour une nourrice, et pour d’autres officiers qu’il me destine. Comment prendrai-je sur moi d’entendre des propos d’amour, de la bouche de ce monstre ? La patience m’échappera sans doute. D’ailleurs, je n’aurais pas cru qu’il eût osé se vanter de ces impudens préparatifs, tant ils s’accordent peu avec les vues de mon frère. Mais je me hâte de quitter un sujet si révoltant. L’audacieuse confiance de Solmes vous fera lire avec moins d’étonnement celle de Lovelace, qui me presse ouvertement, au nom de toute sa famille, de me dérober aux violences dont je suis menacée chez mon oncle, et qui me propose un carrosse de Milord M à six chevaux, qui m’attendra derrière l’enclos, à la barrière qui conduit au taillis. Vous verrez avec quelle hardiesse il parle d’articles déjà dressés, d’escorte prête à monter à cheval, et d’une de ses cousines qui doit se trouver dans le carrosse, ou dans le village voisin, pour me conduire chez son oncle ou chez ses tantes, ou jusqu’à Londres, si c’est le parti pour lequel je me détermine, sous toutes les conditions et les restrictions que je jugerai à propos de lui prescrire. Vous verrez avec quel air de fureur il menace de veiller nuit et jour, et d’employer la force armée, pour m’arracher à ceux qui entreprendront de me conduire chez mon oncle ; et cela, soit que j’y consente ou non, parce qu’il regarde ce voyage comme la ruine absolue de ses espérances. ô chère amie ! Qui pourrait penser à cet étrange appareil, sans être extrêmement misérable par sa douleur et par ses craintes ? Sexe dangereux ! Qu’avais-je à démêler avec aucun homme, ou les hommes avec moi ? Je ne mériterais la pitié de personne, si c’était par ma faute, par ma propre légéreté, que je me fusse jetée dans cette situation. Combien ne souhaiterais-je pas… mais que servent les souhaits, dans l’extrêmité du malheur, lorsqu’on ne voit pas le moyen d’en sortir ?