Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/325

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n’était mon frère et M Solmes, qui s’était caché derrière la porte pour n’être pas vu ; tandis que mon frère m’a conduite par la main jusqu’à la première chaise ? J’ai frémi, comme à la vue d’un spectre. Il est question de vous asseoir, Clary. Et de quoi encore, mon frère ? De quoi, ma sœur ? Il faut vous défaire, s’il vous plaît, de cet air méprisant ; et prendre la peine d’écouter ce que M Solmes va vous dire. Appelée encore pour leur servir de jouet ! Ai-je pensé en moi-même. Mademoiselle, s’est hâté de dire M Solmes, comme s’il eût craint de n’avoir pas le temps de parler, M Lovelace fait profession d’une haine ouverte pour le mariage, et son dessein est de vous perdre d’honneur, si jamais… lâche délateur ! Ai-je interrompu d’un ton fort vif, arrachant ma main de celles de mon frère, qui la tirait insolemment pour la lui offrir ; c’est vous-même qui êtes l’ennemi de mon honneur, si c’est déshonorer une ame libre que de vouloir la forcer. La violente créature, s’est écrié mon frère. Mais vous n’êtes point encore partie, miss, (en résistant aux efforts que je faisais pour me dégager). Que prétendez-vous donc, monsieur, par cette affreuse violence ? Vous retenir ici, miss : et, me voyant prête à lui échapper, il a passé ses bras autour de moi. Faites donc retirer M Solmes. Pourquoi me traiter si cruellement ? Qu’il ne soit pas témoin, pour votre propre honneur, de la barbarie d’un frère pour une sœur qui n’a pas mérité cet indigne traitement. J’ai continué de me débattre avec tant d’ardeur, qu’étant forcé de me laisser libre, il m’a traitée de furie . Voyez, a-t-il dit à M Solmes, quelle force l’opiniâtreté donne à une femme : je n’ai pu la retenir. J’avais déjà volé vers la porte, qui était demeurée ouverte ; et remontant à ma chambre avec la même légèreté, je m’y suis enfermée sous la clé, tremblante en vérité, et toute hors d’haleine. Un quart-d’heure après, Betty est venue frapper brusquement, en me priant à haute voix d’ouvrir, et d’un ton qui m’a causé autant d’effroi qu’elle paroissait en avoir elle-même. J’ai ouvert. Miséricorde ! M’a-t-elle dit. On n’a jamais vu de pareil tumulte, (marchant de côté et d’autre, et s’éventant avec son mouchoir) : des maîtres et des maîtresses en fureur ; d’autres obstinés ! Un pauvre amant qui se désespère ! Des oncles enragés ! Un… ô dieu ! Dieu ! Quelle sera la fin de cette confusion ? Et pourquoi, s’il vous plaît, tant de trouble ? Parce qu’une jeune demoiselle peut être heureuse, et ne le veut pas ; parce qu’une jeune demoiselle veut un mari, et n’en veut pas. Quel désordre dans une maison où l’on était accoutumé à vivre si tranquille ! Elle a fait durer quelque temps cette scène, sans cesser de parler à elle-même ; tandis que, prenant patience sur ma chaise, et bien persuadée que sa commission ne me serait pas agréable, j’ai attendu la fin de ce beau soliloque. Elle s’est tournée vers moi : je dois faire ce qu’on m’ordonne, m’a-t-elle dit, et ce n’est pas ma faute. Votre colère, miss, ne doit pas tomber sur moi. Mais il faut que j’emporte à ce moment vos plumes et votre encre.