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Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/343

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moi au nom de l’honneur, de la tendresse du sang, et de votre ancienne affection ; dites-moi s’ils sont absolument résolus, sans égard pour tout ce qui peut arriver, de me donner à l’objet de mon aversion. Ma chère, je vous l’ai déjà dit : il est certain que vous aurez M Solmes. Non, madame, je ne l’aurai pas. Cette violence, comme je l’ai répété mille fois, ne vient pas de mon père dans l’origine. Je ne serai jamais à M Solmes : c’est ma seule réponse. Telle est néanmoins la volonté de votre père : et quand je considère jusqu’où vont les bravades de M Lovelace, qui a pris certainement la résolution de vous enlever à votre famille, je ne puis disconvenir qu’on n’ait raison d’être révolté contre une si odieuse tyrannie. Eh bien ! Madame, je n’ai rien à dire de plus ; je suis au désespoir. Je ne connais plus rien qui soit capable de m’effrayer. Votre piété, votre prudence, ma chère, et le caractère de M Lovelace, joint à ses audacieux outrages, qui doivent vous causer autant d’indignation qu’à nous, rassurent parfaitement votre famille. Nous sommes sûrs d’un temps où vous prendrez des idées fort différentes de la démarche que vos amis jugent nécessaire pour faire échouer les vues d’un homme qui mérite si justement leur haine. Elle est sortie. Je suis demeurée en proie à l’indignation autant qu’à la douleur ; mais vivement irritée aussi contre M Lovelace, qui, par ses extravagantes inventions, met le comble à mes disgrâces, m’ ôte l’espoir de gagner du tems pour recevoir vos avis et les moyens de me rendre à Londres, et ne me laisse plus, suivant toute apparence, d’autre choix que de me jeter dans sa famille, ou d’être éternellement misérable avec M Solmes. Cependant je n’ai pas perdu la résolution d’éviter, s’il est possible, l’un et l’autre de ces deux maux. J’ai commencé par sonder Betty (que ma tante s’est hâtée de faire monter, dans l’idée, comme je l’ai su de cette fille, qu’il n’y avait pas de sûreté à me laisser à moi-même). Betty m’ayant paru informée de leurs desseins, je l’ai mise à toutes sortes d’épreuves, pour découvrir, par ses réponses, s’il n’était pas du moins probable que mes larmes et mes ardentes prières pussent faire suspendre la fatale conclusion. Elle m’a confirmé toutes les déclarations de ma tante ; en se réjouissant, m’a-t-elle dit, avec toute la famille, de l’excellent prétexte que le brigand donnait lui-même pour me sauver à jamais de ses mains. Elle s’est étendue sur les nouveaux équipages qui sont ordonnés, sur la joie de mon frère et de ma sœur, qui s’est communiquée à tous les domestiques, sur les dispenses qu’on attend de l’évêque, sur une visite que je dois recevoir du docteur Lewin, ou d’un autre ecclésiastique qu’on ne lui a pas nommé, mais qui doit couronner l’entreprise ; enfin sur d’autres préparatifs, avec tant de circonstances particulières, qu’elles me font craindre qu’on ne pense à me surprendre, et que le jour ne soit bien moins éloigné que mercredi. Ces éclaircissemens ont augmenté mon inquiétude à l’excès. Je suis tombée dans une cruelle irrésolution. Que me reste-t-il, ai-je pensé un instant, que d’aller me jeter tout d’un coup sous la protection de Miladi Lawrance ? Mais aussi-tôt mon ressentiment contre les belles inventions qui ont déconcerté abominablement mes projets, m’a fait passer à des résolutions contraires. à la fin, j’ai pris le parti de faire demander à ma tante la faveur d’un nouvel entretien.