Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/370

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lettre. On doit faire une nouvelle recherche de vos papiers, de vos plumes et de votre encre, parce qu’on sait que vous écrivez. On prétend avoir fait quelque découverte, par la trahison d’un des gens de M Lovelace. Je ne sais pas de quoi il est question ; mais on se propose d’en faire usage. Il n’y aurait qu’un méchant caractère qui pût s’être vanté de la bonté qu’une femme a pour lui, et qui eût été capable de trahir ses secrets. M Lovelace, j’ose le dire, est trop galant homme pour être soupçonné de cette bassesse. S’il ne l’est pas, quelle sûreté y aura-t-il jamais pour de jeunes et innocentes créatures telles que nous ? Ils ont une idée qui leur vient, je crois, de cette fausse Betty : c’est que vous avez dessein de prendre quelque chose pour vous rendre malade, ou dans d’autres vues. Ils doivent chercher, dans tous vos tiroirs, des fioles, des poudres, et les choses de cette nature. Voilà une recherche bien étrange ! Quel malheur pour une jeune fille, d’avoir des parens si soupçonneux ! Grâces au ciel, ma mère n’est pas à présent de ce caractère. Si l’on ne trouve rien, vous serez traitée plus doucement par votre papa le jour du grand jugement, comme je crois pouvoir le nommer. Cependant, malade ou non, hélas ! Ma chère cousine, il n’y a que trop d’apparence que vous serez mariée. Betty l’assure, et je n’en doute plus. Mais votre mari doit retourner chez lui tous les jours au soir, jusqu’à ce que vous soyiez réconciliée avec lui : ainsi, la maladie ne sera pas un prétexte qui puisse vous sauver. Ils sont persuadés qu’après votre mariage, vous serez une des plus excellentes femmes du monde. C’est ce que je ne serais pas, je vous assure, si je n’avais du goût pour mon mari. M Solmes leur répète sans cesse qu’il obtiendra votre amour à force de bijoux et de riches présens. Le vil flatteur ! Je souhaiterais de le voir marié avec Betty Barnes, et qu’il prît la peine de la battre chaque jour, jusqu’à ce qu’il l’eût rendue bonne. Enfin, mettez en lieu de sûreté tout ce que vous ne voulez pas laisser sous leurs yeux ; et brûlez cette lettre, je vous en conjure. Gardez-vous bien, ma très-chère cousine, de rien prendre qui puisse nuire à votre santé. Cette voie serait inutile, et le danger en serait terrible pour ceux qui vous aiment aussi tendrement que votre, etc. D H. Après avoir lu cette lettre, il s’en est fallu peu que je n’aie repris mon premier projet, sur-tout lorsque j’ai considéré que ma lettre de révocation n’est point encore partie, et que mon refus va m’exposer à des disputes fort vives avec M Lovelace : car je ne pourrai me dispenser de le voir un moment, dans la crainte qu’il ne s’emporte à quelque violence. Mais le souvenir de vos termes, ces délicatesses auxquelles je dois renoncer, dès que j’aurai quitté la maison de mon père, joint aux motifs encore plus puissans du devoir et de la réputation, m’ont déterminée encore une fois contre la téméraire démarche. Quand mes agitations et mes larmes ne feraient aucune impression sur mes amis, il est incroyable que je ne puisse obtenir un mois, quinze jours, une semaine ; et mes espérances augmentent pour quelque délai, depuis que je sais de ma cousine, que ce bon docteur Lewin refuse de se prêter à leur entreprise sans mon consentement, et qu’il juge qu’on me traite avec une véritable cruauté. Il me vient à l’esprit une nouvelle ressource : sans faire connaître de quoi je suis informée, je ferai valoir mes scrupules de conscience,