Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/395

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parce qu’il peut paraître que je vous sers contre mon devoir : avec une bonne conscience, on ne craint pas les mauvaises langues. Cependant je souhaiterais, si vous avez cette bonté, que vous ne m’appelassiez pas si souvent honnête Joseph, honnête Joseph . Quoique je me croie fort honnête, comme vous le dites, je craindrais de ne pas paraître tel aux yeux des méchantes gens, qui ne connaissent pas mes intentions ; et vous avez aussi l’humeur si facétieuse, qu’on ne sait pas si vous dites ces choses-là sérieusement. Je suis un pauvre homme, qui n’ai jamais écrit à des seigneurs : ainsi vous ne serez pas surpris, ne vous déplaise, si je n’ai pas tant d’éloquence que vous. Pour Mademoiselle Betty, j’ai cru d’abord qu’elle avait des vues au-dessus de moi. Cependant je vois qu’elle s’apprivoise peu-à-peu. J’aurais beaucoup plus d’amitié pour elle, si elle était meilleure pour notre jeune demoiselle. Mais je crains qu’elle n’ait trop d’esprit pour un pauvre homme tel que moi. Au bout du compte, quoiqu’il ne soit pas trop honnête de battre une femme, je ne souffrirai jamais qu’elle me mette le pied sur la gorge. Cette recette, que vous avez la bonté de me promettre, me donnera du courage ; et je crois qu’elle serait fort agréable pour tout le monde, pourvu que cela se passe honnêtement comme vous l’assurez, à peu-près dans l’espace d’une année. Cependant, si Mademoiselle Betty se tourne bien, je pourrais souhaiter que cela dure un peu plus long-temps ; sur-tout lorsque nous aurons à gouverner une hôtellerie, où je crois qu’une bonne langue et une tête malicieuse ne gâtent rien dans une femme. Mais je crains de paraître impertinent avec un seigneur de votre qualité. C’est vous-même aussi, qui me mettez en train par votre exemple, car vous avez toujours le mot pour rire ; et puis vous m’avez ordonné de vous écrire familièrement tout ce qui me vient à l’esprit : surquoi vous demandant pardon, je vous promets encore une fois toute diligence et toute exactitude, et je demeure votre obéissant serviteur, prêt à tous vos commandemens, Joseph Léman.



Lovelace à M Belford.

à Saint-Albans, lundi au soir. Tandis que l’idole de mon cœur prend un peu de repos, je dérobe quelques momens au mien, pour exécuter ce que je t’ai promis. Nulle poursuite ; et je t’assure que je n’en ai redouté aucune, quoiqu’il ait fallu feindre des craintes pour en inspirer à ma charmante. Apprends, cher ami, qu’il n’y eut jamais de joie aussi parfaite que la mienne. Mais laisse-moi jeter les yeux un moment sur ce qui se passe : l’ange ne serait-il pas disparu ? Ah ! Non. Pardonne mes inquiétudes. Elle est dans l’appartement voisin du mien. Elle est à moi ! Pour toujours à moi. " ô transports ! Mon cœur, pressé de joie et d’amour, cherche à s’ouvrir un passage pour s’élancer dans son sein ". Je savais que toutes les combinaisons de la stupide famille étoient autant de machines qui se remuaient en ma faveur. Je t’ai dit qu’ils travaillaient