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Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/43

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ma chère, que d’un mois entier, ou jusqu’à nouvel ordre, je ne dois entretenir de correspondance avec personne hors de la maison. Mon frère, sur le rapport de ma tante, qu’elle a fait néanmoins, comme j’en suis bien informée, dans les termes les plus doux, et même en donnant des espérances éloignées, quoiqu’elle n’eût pas reçu de moi cette commission ; mon frère est venu m’apporter la défense, d’un ton d’autorité. Pas même avec Miss Howe ? Lui ai-je dit. Pas même avec Miss Howe, d’un air moqueur ; car n’avez-vous pas avoué, miss, que Lovelace est traité en favori dans cette maison ? Voyez, ma chère amie ! Et croyez-vous, mon frère que ce soit là le moyen… il m’a interrompue malignement : vos idées se tournent-elles de ce côté-là ? Je vous avertis qu’on interceptera vos lettres. Là-dessus, il m’a quittée en courant.

Ma sœur est entrée un moment après. à ce que j’entends, ma sœur Clary, voilà un beau chemin dans lequel vous vous engagez ; mais comme on suppose que ce n’est pas sans secours que vous vous endurcissez contre votre devoir, je suis chargée de vous dire qu’on vous saura bon gré d’éviter, pendant l’espace de huit ou quinze jours, de rendre ou de recevoir des visites.

Quoi ! Lui ai-je dit, cet ordre peut-il venir de ceux à qui je dois du respect ?… demandez-le, demandez-le, mon enfant, en faisant deux tours en rond du bout du doigt. J’ai rempli ma commission. Votre papa veut être obéi. Il est porté à croire que vous ne manquerez pas d’obéissance, et il voudrait prévenir ce qui pourrait vous exciter à la révolte. J’ai répondu à ma sœur que je connaissais mon devoir, et que j’espérais qu’on n’y attacherait pas des conditions impossibles. Elle m’a dit que j’étais une hardie petite créature, remplie de vanité et d’une folle opinion de moi-même, que, dans mes sages raisonnemens, je me croyais seule capable de juger du bien et du mal ; que, pour elle, il y avait long-temps qu’elle avait pénétré toutes ces spécieuses apparences, mais que j’allais montrer à tout le monde ce que j’étais dans le fond.

Chère Bella ! Lui ai-je dit, les mains et les yeux levés, pourquoi tous ces étranges propos ? Chère, chère Bella ! Pourquoi… tous ces chère Bella , m’a-t-on répondu, n’ont aucun effet sur moi. Je vous déclare que je perce au travers de toutes vos sorcelleries . Ma chère ! C’est une expression bien terrible. Elle est sortie brusquement, en ajoutant, dans sa fuite, et tout le monde y percera bientôt aussi, j’ose le dire.

Hélas ! Me suis-je dit à moi-même, quelle sœur ai-je donc là ? Qu’ai-je fait pour mériter ce traitement ? Ensuite mes regrets sont tombés sur la bonté de mon grand-père, qui m’a distinguée avec trop de faveur.

25 février au soir.

J’ignore ce que mon frère et ma sœur ont pu dire à mon désavantage ; mais je suis extrêmement mal dans l’esprit de mon père. On m’a fait avertir à l’heure du thé. Je suis descendue avec un visage ouvert. Les circonstances m’ont bientôt forcée d’en changer.

C’était une contenance si grave et si composée, dans chaque personne de la compagnie ! Ma mère avait les yeux fixés sur les vases de la table ; et lorsqu’elle les levait, c’était pesamment, comme si ses paupières eussent été chargées d’un grand poids, et sans les jeter de mon côté. Mon père était à demi-assis dans son fauteuil, pour n’avoir pas la tête