Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/434

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Celui-ci me conviendra, ai-je repliqué, lorsque vous n’y serez plus pour troubler mon repos, et pour resserrer trop mon logement. Il ne croyait pas cette maison assez sûre. Comme je n’avais pas eu dessein de m’y arrêter, il n’avait pas pris soin de recommander le secret à ses gens, ni à Madame Greme, lorsqu’elle m’avait quittée ; sans compter, m’a-t-il dit, qu’il y avait dans le voisinage trois ou quatre bonnes maisons, où ses gens s’étoient déjà liés avec les domestiques. Il ne pouvait penser à me laisser seule dans un lieu si mal gardé. Mais je n’avais qu’à choisir, dans toute l’Angleterre, une demeure sûre et tranquille ; et lorsqu’il m’y verrait établie, il choisirait la sienne dans l’endrait du royaume le plus éloigné, si ce sacrifice était nécessaire à mon repos. Je lui ai confessé nettement que je ne me pardonnerais jamais de l’avoir vu à la porte du jardin, n’y à lui de m’avoir mise dans la nécessité de le suivre ; que mes regrets ne faisaient qu’augmenter ; que je croyais ma réputation blessée, sans apparence qu’elle pût jamais se rétablir ; qu’il ne devait pas s’étonner de voir croître de jour en jour mon inquiétude et ma douleur ; que tout ce que j’avais à désirer était qu’il me laissât le soin de moi-même ; et que, lorsqu’il m’aurait quittée, je verrais mieux à quelle résolution je devais m’arrêter, et quelle retraite je devais choisir. Ce discours a paru le jeter dans des réflexions plus profondes. Il aurait souhaité, m’a-t-il dit d’un ton fort grave, que, sans m’offenser, et sans être soupçonné de vouloir s’écarter des loix que je lui avais imposées, il lui eût été permis de me faire une humble proposition… mais le respect sacré qu’il avait pour mes ordres, quoiqu’il ne fût pas redevable à mon penchant de l’occasion qu’il avait eue de me servir, lui lioit la langue ; à moins que je ne promisse de lui pardonner, si je ne l’approuvais pas. Je lui ai demandé, avec quelque confusion, ce qu’il voulait dire. Il m’a fait une seconde préface, comme si ma permission même ne l’eût pas rassuré ; et, baissant les yeux, avec un air de modestie qui lui sied assez mal, il m’a proposé de ne pas différer la célébration. " elle rétablira tout, s’est-il hâté d’ajouter. Les deux ou trois premiers mois, que vous êtes menacée de passer dans l’obscurité et dans la crainte, nous les passerons agréablement à visiter toute ma famille, et à recevoir des visites. Nous verrons Miss Howe ; nous verrons qui vous voudrez voir ; et rien n’ouvrira mieux le chemin à la réconciliation que vous avez tant à cœur ". Il est certain, ma chère amie, que votre conseil m’est revenu alors dans toute sa force. Je n’en ai pas trouvé moins dans ses raisons, et dans la vue présente de ma triste situation. Mais que pouvais-je répondre ? J’aurais eu besoin de quelqu’un qui eût parlé pour moi. Je ne pouvais agir tout d’un coup, comme si le tems des délicatesses eût été passé. Je n’avais pu supposer que cette proposition dût arriver si tôt. Il s’est fort bien aperçu qu’elle ne m’irritait pas. J’ai rougi, j’en suis sûre ; je suis demeurée muette ; et je m’imagine que j’avais l’air d’une folle. Il ne manque pas de courage. Auroit-il voulu que je me fusse rendue au premier mot ? Son sexe ne regarde-t-il pas le silence du nôtre comme une marque de faveur ? D’un autre côté, sortie depuis trois jours du château d’Harlove, après lui avoir déclaré, par mes lettres, que je ne penserais point au mariage, sans l’avoir fait passer, en quelque sorte, par