Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/453

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excuses. J’ai peine à croire qu’à son âge, il puisse être aussi méchant qu’on l’a prétendu. Mais un homme de ce caractère, à la tête d’une troupe de gens tels qu’on peint ses compagnons, tous riches, intrépides, et capables des entreprises dont j’ai le malheur d’être un exemple, me paraît extrêmement dangereux. Son indifférence pour l’opinion publique est une autre de ses excuses. Je la trouve très-mauvaise. Que peut espérer une femme, d’un homme qui a si peu d’égards pour sa propre réputation ? Ces agréables libertins peuvent amuser, une heure ou deux, dans une conversation mêlée. Mais c’est l’homme de probité, l’homme de vertu, dont il faut désirer la société pour tous les momens de sa vie. Quelle est la femme qui consente, lorsqu’elle pourra s’en dispenser, à s’abandonner au pouvoir d’un homme qui ne connaît aucune loi morale ; dans le doute s’il daignera remplir, de son côté, les obligations conjugales, et la traiter, du moins, avec les égards de la politesse ? Avec ces principes, ma chère, avec ces réflexions, me jeter moi-même à la tête d’un homme… plût au ciel… mais que servent à présent les regrets ? à quelle protection recourir, quand je serais libre de renoncer à la sienne ?



M Lovelace à M Belford.

vendredi, 14 avril. Je ne connais rien de si insensé que tous ces Harloves. Que veux-tu que je te dise, Belford ? Il faut que la belle tombe, eût-elle tous les génies immortels pour sa garde ; à moins que, se rassemblant visiblement autour d’elle, ils ne l’arrachent de mes bras, pour l’enlever avec eux dans la région éthérée. Ma crainte, ma seule crainte, c’est qu’une fille, qui m’a suivi avec tant de répugnance, n’offre à son père des conditions qui pourraient être acceptées, telles que de m’abandonner, pour être délivrée de Solmes. Je cherchais le moyen de me garantir d’une si cruelle espèce de danger. Mais les Harloves paroissent résolus d’achever pour moi l’ouvrage qu’ils ont commencé. Qu’il se trouve de stupides créatures dans le monde ! N’est-ce pas un génie bien fin que ce frère, de n’avoir pas conçu que celui qui est capable de se laisser corrompre pour entreprendre une mauvaise action, peut être aussi sûrement corrompu contre celui qui l’emploie, sur-tout lorsqu’on lui offre l’occasion de tirer un double avantage de sa perfidie ? Toi-même, Belford, tu ne pénétreras jamais la moitié de mes inventions. N’admires-tu pas l’habileté de ton ami pour les glorieuses impostures ? Vois combien j’étais proche de la vérité. Je ne m’en suis écarté qu’en assurant que le bruit s’était fait sans ordre, et par l’unique mouvement d’une terreur panique. Si je lui avais fait un aveu plus exact, son orgueil, mortifié de se voir pris pour dupe, ne me l’aurait jamais pardonné.