Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/536

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les blancs ; car ceux de ma charmante ont changé dans un instant toutes ses idées, et l’ont portée, contre mon attente, à reconnaître qu’elle m’honore d’une préférence dont elle ne m’avait point encore fait l’aveu. Elle m’a même déclaré qu’elle se propose d’être à moi ; à moi, sans les anciennes conditions. Elle me permet de lui parler d’amour et de l’irrévocable cérémonie. Cependant, autre sujet d’admiration ! Elle veut que cette cérémonie soit différée. Elle est déterminée à partir pour Londres, et même à se loger chez la veuve. Mais tu me demandes, sans doute, comment ce changement est arrivé. Toi, Lovelace, me diras-tu, nous savons que tu te plais aux opérations surprenantes ; mais nous ne te connaissions pas le don des miracles. Comment t’y es-tu pris pour arriver à ce point ? Je vais te l’apprendre. J’étais en danger de perdre pour jamais la charmante Clarisse. Elle était prête à prendre son essor vers les cieux, c’est-à-dire vers son élément naturel. Il fallait quelque moyen puissant, un moyen extraordinaire, pour la retenir parmi les êtres de notre espèce. Quels moyens plus efficaces que les tendres sons de l’amour et l’offre du mariage, de la part d’un homme qui n’est pas haï, pour fixer l’attention d’un jeune cœur qui souffre de ses incertitudes, et qui a désiré impatiemment d’entendre une proposition si douce ? Voici l’aventure en peu de mots. Tandis qu’elle refusait de m’avoir la moindre obligation, et que sa fierté me tenait éloigné, dans l’espérance que le retour de son cousin la rendrait absolument indépendante de moi ; mécontente, au fond, de me voir tenir mes passions en bride, aulieu de les abandonner à sa censure ; elle écrit une lettre pour presser la réponse de sa sœur à une autre lettre, par laquelle sa crainte même de m’être obligée, et sa passion pour l’indépendance, lui avoient fait demander ses habits et d’autres commodités qu’elle avait laissées au château d’Harlove. Que reçoit-elle ? Une réponse outrageante, et plus horrible encore par la nouvelle qu’elle contenait d’une malédiction dans les formes, prononcée de la bouche d’un père, contre une fille qui mérite toutes les bénédictions du ciel et de la terre. Mille fois maudit le sacrilége vieillard qui n’a pas craint la foudre en maudissant le modèle de toutes les graces et de toutes les vertus : et malédiction au double sur l’organe de cette nouvelle détestable, sur l’envieuse, l’indigne Arabelle ! J’étais absent à l’arrivée de cette lettre. à mon retour, je trouvai la divine Clarisse qui n’était revenue de plusieurs évanouissemens que pour y retomber sans cesse, et qui tenait tous les assistans dans le doute de sa vie. On avait dépêché de tous côtés pour me trouver. Il n’est pas surprenant qu’elle eût été si touchée, elle, dont le respect excessif pour son cruel tyran de père lui faisait attacher la plus affreuse idée à sa malédiction, sur-tout, comme je l’appris par ses gémissemens aussi-tôt qu’elle fut en état de parler, à une malédiction qui s’étendait à ce monde et à l’autre. Que n’est-elle tombée, au même instant, sur la tête de celui qui l’a prononcée, par un accès de quelque mal violent, qui devait le prendre à la gorge et l’étouffer sur le champ, pour servir d’exemple à tous les pères dénaturés ! N’aurais-je pas été le dernier des hommes, si, dans une occasion de cette nature, je ne m’étais pas efforcé de la rappeler à la vie par toutes sortes de consolations, de vœux, de caresses, et par toutes les offres que je crus capables de lui plaire ? Mon empressement eut d’heureux effets.