Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/79

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l’état du mariage, moi, qui suis la plus jeune, et qui suis fort éloignée d’y avoir la moindre inclination ? Vous allez me demander, sans doute, pourquoi l’on n’a pas pensé à votre sœur pour M Solmes. J’espère, madame, que vous ne vous offenseriez pas de cette question.

Je pourrais vous renvoyer à votre père, pour la réponse. M Solmes a ses raisons pour vous préférer.

Et j’ai les miennes aussi, madame, pour ne le pouvoir souffrir.

Cette vivacité à m’interrompre n’est pas supportable. Je sors, et je vais envoyer votre père, si je ne puis rien obtenir de vous.

Madame, j’aimerais mieux mourir que de… elle m’a mis la main sur la bouche. Clarisse, gardez-vous qu’il vous échappe rien de décisif. Si vous me persuadez une fois que vous êtes inflexible, j’ai fini.

Mes larmes ont recommencé à couler de dépit. Voilà, voilà l’ouvrage de mon frère, l’effet de ses vues intéressées… point de réflexions sur votre frère. Il n’a que l’honneur de la famille à cœur.

Je ne suis pas plus capable que mon frère, de faire déshonneur à la famille.

J’en suis persuadée. Mais vous conviendrez que votre père et vos oncles en doivent juger mieux que vous.

Je lui ai offert alors de vivre perpétuellement dans le célibat, ou de ne me marier jamais qu’avec la pleine approbation de tous mes proches. Si je voulais marquer du respect et de l’obéissance, c’était en prenant leur volonté pour règle, et non la mienne.

J’ai répondu que je ne croyais pas avoir mérité, par ma conduite, que mon obéissance fût mise à des épreuves de cette nature.

Oui, m’a-t-elle dit avec bonté, il n’y avait point de reproche à faire à ma conduite. Mais je n’avais jamais essuyé d’épreuve ; et puisque le tems en était venu, elle espérait que ma vertu ne commencerait point à s’affoiblir. Dans la jeunesse de leurs enfans, les parens prennent plaisir à tout ce qu’ils leur voient faire. Vous avez toujours paru d’un fort bon naturel. Mais jusqu’à présent, nous avons plutôt eu de la complaisance pour vous, que vous n’en avez eu pour nous. L’âge nubile, où vous êtes arrivée, est le temps de l’épreuve ; d’autant plus que votre grand-père vous a mise dans une sorte d’indépendance, en vous préférant à ceux qui avoient des droits avant vous, sur la terre qu’il vous a laissée. Madame, mon grand-père savait, comme il l’a marqué expressément dans ses dernières dispositions, que mon père pouvait dédommager abondamment ma sœur. Il a même témoigné qu’il le désiroit. Je n’ai rien fait au-delà de mon devoir, pour me procurer des faveurs extraordinaires, et ses libéralités sont plutôt une marque de son affection qu’un avantage pour moi ; car ai-je jamais cherché ou désiré l’indépendance ? Quand je serais reine de l’univers, toute ma grandeur ne me dispenserait pas du respect que je dois à mon père et à vous. Aux yeux du monde entier, je ferais ma gloire de recevoir à genoux vos bénédictions ; et loin… je me fais une peine de vous interrompre, Clary, quoique cette attention vous manque souvent pour moi. Vous êtes jeune, Clary ; vous n’avez jamais été contrariée. Mais, avec toutes ces ostentations de respect, je voudrois