Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/89

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désordre, comme si elle eût été incertaine de ce qu’elle devait faire) ; je ne veux ni me lever, ni vous quitter, ni vous laisser partir, que vous ne m’ayez dit que vous n’êtes plus fâchée contre moi.

ô toi, qui m’émeus jusqu’au fond du cœur, chère enfant ! (jetant ses chers bras autour de mon cou, tandis que les miens continuaient d’embrasser ses genoux)… pourquoi me suis je chargée de cette commission ?… mais laissez-moi. Vous m’avez jetée dans un désordre inexprimable. Laissez-moi, ma chère ! Je ne serai plus fâchée contre vous… si je puis m’en empêcher… si vous êtes raisonnable.

Je me suis levée toute tremblante : et sachant à peine ce que je faisais, ou comment je pouvais me tenir debout et marcher, j’ai repris le chemin de ma chambre. Hannah m’a suivie aussi-tôt qu’elle m’a entendue quitter ma mère. Elle m’a présenté des sels ; elle m’a jeté de l’eau fraîche, pour soutenir mes esprits, et c’est tout ce qu’elle a pu faire que de m’empêcher de m’évanouir. Il s’est passé près de deux heures avant que j’aie été capable de prendre ma plume pour vous écrire la malheureuse fin de mes espérances. Ma mère est descendue à l’heure du déjeûner. Je n’étais pas en état de paraître. Mais quand j’aurais été mieux, je suppose qu’on ne m’aurait pas appelée, puisque mon père a fait entendre, lorsqu’il est monté à ma chambre, qu’il ne veut me voir que lorsque je serai digne du nom de sa fille ; ce que je crains bien, de n’être jamais dans son opinion, s’il ne change pas d’idées par rapport à M Solmes.



Samedi, 4 mars, à midi.

Hannah m’apporte à ce moment votre lettre d’hier. Ce qu’elle contient m’a rendu fort pensive, et vous aurez une réponse de mon plus grave style. Moi, être à M Solmes ! Non, non, j’aimerais mieux… mais je vais répondre d’abord aux autres parties de votre lettre, qui sont moins intéressantes, afin de pouvoir toucher cet article avec plus de patience.

Je ne suis que médiocrement surprise des sentimens de ma sœur pour M Lovelace. Elle prend des peines si officieuses, et elle les prend si souvent, pour persuader qu’elle n’a jamais eu, et qu’elle n’aurait jamais pu avoir de goût pour lui, qu’elle ne donne que trop de sujet aux soupçons. Jamais elle ne raconte l’histoire de leur séparation et de son refus, que son teint ne se colore, et qu’elle ne jette sur moi quelques regards de dédain, avec un mélange de colère et des airs qu’elle se donne. Cette colère et ces airs prouvent du moins qu’elle a refusé un homme qu’elle croyait digne d’être accepté. Autrement, à propos de quoi de la colère et des airs ? Pauvre Bella ? Elle mérite de la pitié. Elle ne peut aimer ni haïr avec modération. Plût au ciel qu’elle eût obtenu tout ce qu’elle désire. Ce souhait, de ma part, est bien sincère. à l’égard de l’abandon que j’ai fait de ma terre à la volonté de mon père, mes motifs, comme vous le reconnaissez, n’ont point été blâmables dans le tems. Votre conseil, à cette occasion, était fondé sur la bonne opinion que vous avez de moi. Vous étiez persuadée que je ne ferais jamais un mauvais usage du pouvoir que j’avais entre les mains. Ni vous, ni moi, ma chère, quoique vous preniez aujourd’hui un air de prédiction, nous ne nous serions jamais attendues à ce qui arrive, particuliè