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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/103

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Sally et Madame Sinclair s’étendirent sur ses louanges, mais sans affectation. Sally particulièrement admira sa modestie, et la nomma exemplaire . Cependant, pour prévenir tous les soupçons, elle ajouta que, s’il lui était permis d’expliquer librement ses idées devant moi, elle trouvait sa délicatesse excessive. Mais elle m’applaudit beaucoup d’observer rigoureusement ma promesse. Pour moi, je blâmai plus ouvertement sa conduite avec moi. Je la traitai de cruelle. Je m’emportai contre sa famille. Je parus douter de son amour. Me voir refuser jusqu’à la moindre faveur, tandis que ma conduite était aussi pure, aussi délicate, dans les momens où je me trouvais seul avec elle, que sous les yeux de toute la maison ! Je touchai quelque chose de ce qui s’était passé le même jour entre elle et moi, ne me plaignant que de quelques traits d’indifférence si marqués, qu’il m’était impossible de les soutenir. Mais je voulais lui proposer d’aller samedi prochain à la comédie, où l’on devait donner l’ orpheline d’Otway , jouée par les meilleurs acteurs, pour essayer si toutes sortes de faveurs me seraient refusées. J’avais néanmoins peu de goût pour les tragédies ; quoique je n’ignorasse pas qu’elle les aimait, à cause de l’instruction et des bons exemples qu’on y trouve presque toujours. Je n’avais que trop de sentimens, ajoutai-je ; et le monde offrait d’assez grands sujets de tristesse, sans qu’il fût besoin d’emprunter les douleurs d’autrui, et de s’en faire un amusement. Cette remarque est assez vraie, Belford ; et je crois qu’en général tout ce qu’il y a de gens de notre espèce pensent là-dessus comme moi. Ils n’aiment point d’autres tragédies que celles où ils font eux-mêmes les rôles de tyrans et d’exécuteurs. Ils ne veulent pas s’exposer à des réflexions trop sérieuses. Ils courent aux pièces comiques, pour rire des chagrins qu’ils ont causés, et pour y trouver des exemples qui ressemblent à leurs propres mœurs : car nous avons peu de comédies qui en offrent de bons. Mais que dis-je ? Je crois me souvenir, en y pensant, que tu te plais au lamentable . Miss Martin répondit pour Polly, qui étoit absente ; Madame Sinclair, pour elle-même et pour toutes les femmes de sa connaissance, sans excepter Miss Partington, qu’elles préféraient le comique à la tragédie. Je crois qu’elles ont raison ; parce qu’il n’y a pas de libertin un peu déterminé, qui ne mêle assez de tragique dans les comédies qu’il joue avec une maîtresse. Je priai Sally de tenir compagnie à mon épouse. Elle était engagée pour samedi, m’a-t-elle répondu. Je demandai à Madame Sinclair sa permission pour Polly. Assurément, me dit-elle, Polly se ferait un honneur extrême d’accompagner Madame Lovelace ; mais la pauvre fille avait le cœur si tendre, et la pièce étoit si touchante, qu’elle perdrait les yeux à force de pleurer. En même temps Sally me représenta ce qu’il y avait à craindre de Singleton, pour me donner occasion de répondre à l’objection, et pour épargner à ma belle la peine de me la faire, ou de discuter cet article avec moi. Aussitôt je confessai que je n’avais que mon courage pour être tranquille de ce côté-là ; et parlant d’une lettre que je venais de recevoir, je déclarai à Madame Sinclair qu’on me donnait avis qu’une personne dont on me faisait le portrait, avait entrepris de nous découvrir. Ensuite, ayant demandé une plume et de l’encre, je jetai sur un papier les principales