Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/134

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plus difficile que les prospérités extraordinaires rendent l’ame plus impatiente et plus sensible aux injures. Je vous avoue qu’en réfléchissant sur le caractère de quelques personnes de ma famille, j’ai souvent gémi en secret de voir que leur immense fortune était devenue pour eux comme un piége aussi dangereux peut-être que l’ont été pour vous quelques autres biens accidentels, qui, étant moins immédiatement votre ouvrage, vous autorisent moins encore à vous en glorifier. Je n’ajouterai qu’une réflexion sur le même sujet ; c’est que la complaisance n’est point une bassesse. Il y a de la gloire à céder, quoiqu’un esprit violent ne la connaisse point. Peut-être mon frère n’y est-il pas plus sensible que vous. Mais, comme vous avez des talens qu’il n’a pas, je souhaiterais que les difficultés qui vous empêchent tous deux de vaincre une aversion mutuelle, vinssent moins de votre part que de la sienne ; car c’est une de mes plus ardentes espérances, que vous parviendrez tous deux à vous voir quelque jour, sans qu’une femme et une sœur ait à trembler pour les suites. Non que je souhaite jamais de vous voir céder sur des points qui concernent le véritable honneur : non, monsieur. Je serais là-dessus aussi délicate que vous ; plus délicate, j’ose le dire, parce que ma délicatesse serait plus uniforme. Que je trouve vaine et méprisable une fierté qui n’a pour objet que des objets frivoles, et qui néglige, ou qui tourne en raillerie les points d’importance ? " cet article obtenant la considération qu’il mérite, tout le reste devient aisé. Si j’acceptais la généreuse pension que vous m’offrez, avec les sommes qui me reviendront de la succession de mon grand-père, et qui doivent être considérablement multipliées depuis sa mort, je regarderais comme un devoir de les mettre en réserve pour le bien de la famille, et pour les événemens qui peuvent arriver sans avoir été prévus. Quant à mon usage, je saurai toujours me borner à une très-petite partie de mon revenu, quel qu’il puisse être ; et tout ce que je désire, c’est de me trouver en état de satisfaire, dans l’occasion, le penchant que j’ai à secourir les misérables auxquels il n’y a point de mauvaise conduite à reprocher. Dans cette vue, deux cens guinées borneraient honnêtement mes désirs ; ou, s’il arrivait que j’eusse besoin de quelque chose de plus, je ne ferais pas difficulté de vous le demander ; à moins cependant que, vous défiant de votre propre économie, vous ne jugeassiez à propos de me laisser la conduite d’une plus grosse somme, dont je vous rendrais compte réguliérement. à l’égard des habits, j’en ai deux complets, que je n’ai jamais portés, et qui peuvent suffire à présent pour toutes sortes d’occasions. Pour les diamans, j’ai ceux de ma grand’mère, auxquels il ne manque que d’être remontés ; outre la garniture dont mon père m’avait fait présent. Quoiqu’on ait refusé de me les envoyer, je ne doute point qu’ils ne me soient rendus, lorsque je les ferai demander sous un autre nom ; et jusqu’alors, je ne désire point d’en porter. Quant aux plaintes qui regardent ma défiance, j’en appelle à votre propre cœur. Si vous pouvez vous mettre un moment à ma place, en jetant les yeux en arrière sur diverses parties de vos actions, de vos discours et de votre conduite, je vous demande, monsieur, si je ne mérite pas plutôt votre approbation que votre censure, et si, de tous les hommes du monde, vous n’êtes pas celui de qui je suis le plus en droit de l’attendre. Si vous ne le pensez pas, vous me permettrez de vous avertir qu’il y a