Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/14

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mon frère subsistait encore, si je n’avais eu la bonté de confirmer, du moins par mon silence, le récit qu’il avait fait de notre mariage. Cette idée avait attaché si fortement toute la maison à ses intérêts, qu’il partait avec autant de satisfaction que de confiance. Il se flattait qu’à son retour je fixerais le jour de son bonheur ; d’autant plus que je devais être convaincue, par le projet de mon frère, qu’il ne restait aucun espoir de réconciliation. Je lui ai dit que je pouvais écrire à mon oncle Harlove ; qu’il m’avait aimée ; qu’une explication directe me rendrait plus tranquille ; que je méditais quelques propositions, par rapport à la terre de mon grand-père, qui m’attireraient peut-être l’attention de ma famille ; et que j’espérais que son absence serait assez longue pour me donner le temps d’écrire et de recevoir une réponse. Il me demandait pardon, m’a-t-il dit ; mais c’était une promesse à laquelle il ne pouvait s’engager. Son dessein était de prendre des informations sur les mouvemens de Singleton et de mon frère. S’il ne voyait aucun sujet de crainte après son retour, il se rendrait directement dans Berkshire, d’où il se promettait d’amener Miss Charlotte Montaigu, qui m’engagerait peut-être à lui nommer l’heureux jour, plutôt que je n’y paroissais disposée. Je l’ai assuré que je regarderais la compagnie de sa cousine comme une grande faveur. En effet, cette proposition m’a fait d’autant plus de plaisir, qu’elle est venue de lui-même. Il m’a pressée d’accepter un billet de banque. Je l’ai refusé. Alors il m’a offert son valet-de-chambre, pendant son absence ; afin que, s’il arrivait quelque chose d’extraordinaire, j’aie sur le champ quelqu’un à lui dépêcher. Je n’ai pas fait difficulté d’y consentir. Il a pris congé de moi, de l’air le plus respectueux, en se contentant de me baiser la main. J’ai trouvé sur ma table son billet de banque, qu’il y avait laissé sans que je m’en fusse aperçue. Soyez sûre qu’il lui sera remis à son retour. Je suis à présent beaucoup mieux disposée que je ne l’étais en sa faveur. Lorsque les défiances ont commencé à se dissiper, un esprit capable de générosité se porte lui-même, par une espèce de réparation, à juger avantageusement de tout ce qui peut recevoir une explication favorable. J’observe sur-tout avec plaisir que, s’il parle des dames de sa famille avec la liberté que donne le droit du sang, ce n’est jamais néanmoins sans quelque marque de tendresse. Il me semble que les sentimens d’un homme pour ses parentes peuvent donner à une femme quelque raison d’espérer de lui des manières obligeantes après le mariage, lorsqu’elle est résolue d’apporter tous ses soins à les mériter. Ainsi, ma chère, je me vois au point d’être assez contente de lui ; d’où je crois pouvoir conclure qu’il n’est pas naturellement d’un mauvais caractère. Telles sont du moins mes réflexions. Puissiez-vous, ma chère, être toujours heureuse dans les vôtres ! Cl Harlove.


M. Lovelace, à m. Belford. " te peindrai-je l’air noble, l’air serein, et le port charmant de ma déesse, en descendant vers la compagnie qui l’attendait ? Son approche