Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/175

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réconciliation avec sa famille, et d’une délicatesse qui n’avait jamais eu d’exemple. Des femmes moins délicates que celles-ci, Belford, ne sont pas fâchées, dans le même cas, qu’on rejette les délais sur elles. Cependant, cette affectation de délicatesse me paroît très-peu délicate ; car n’est-ce pas confesser tacitement qu’elles ont plus à gagner que nous dans le mariage, et c’est une privation de plaisir qui fait le fondement de leur orgueil ? J’ai raconté, au capitaine, les raisons qui nous avoient déterminés à nous donner, dans la maison, pour des gens mariés, avec serment néanmoins de suspendre la consommation : ce qui avait tenu les deux parties dans la plus grande réserve, l’une condamnée à souffrir, l’autre se renfermant dans les bornes d’une scrupuleuse vigilance, jusqu’à refuser ces faveurs innocentes que des amans, destinés à s’unir, ne font pas difficulté d’accorder et de prendre. Je lui ai communiqué une copie du mémoire qui contient mes articles, de la réponse de ma belle, de ma lettre d’invitation à Milord M, et des généreuses offres de milord. Mais j’ai ajouté que les infirmités de ce vieux seigneur, jointes au goût de ma charmante pour une célébration sans éclat, par le motif du respect qu’elle croit devoir à sa famille, m’avoient fait écrire à milord, que nous le dispenserions de nous accorder sa présence, et que d’heure en heure j’attendais sa réponse. Les articles, ai-je dit encore au capitaine, étoient actuellement entre les mains du conseiller Williams, qu’il devait connaître de réputation (le capitaine a répondu qu’il avait cet honneur-là), et de la bouche duquel il pouvait se le faire confirmer avant que de quitter Londres. Lorsque ces articles seraient dressés dans les formes, il ne manquerait plus que de les signer, et de fixer le jour de mon bonheur. J’ai déclaré au capitaine, que ma fierté me faisait trouver beaucoup de satisfaction à rendre volontairement justice à une femme qui m’était si chère, et sans l’intervention d’une famille de qui j’avais reçu les plus grandes insultes : et que notre situation étant telle que je venais de la représenter, je consentirais avec plaisir que M Jules Harlove suspendît ses ouvertures de réconciliation jusqu’après la célébration de notre mariage. Le capitaine a paru charmé de tout ce qu’il avait entendu. Cependant, il a confessé que son cher ami, que M Jules Harlove, lui ayant témoigné qu’il apprendrait notre mariage avec une joie extrême, il aurait souhaité de pouvoir lui porter cette heureuse nouvelle : ce qui n’empêchait pas qu’il n’espérât toute sorte de bons effets de mon récit et de mes intentions. Il avait compris mes motifs, a-t-il dit, pour faire croire aux femmes de la maison, qui lui paroissaient des gens d’un fort bon caractère, que nous étions véritablement mariés. Il approuvait mes raisons. Elles expliquaient fort bien la réponse de la femme de chambre à l’ami de M Harlove. On ne pouvait douter, a-t-il remarqué, que M James n’eût ses vues pour tenir la brêche ouverte, et qu’il n’eût formé le dessein de m’enlever sa sœur : d’où je devais conclure qu’il paroissait aussi important à M Jules qu’à moi, de tenir notre traité secret, du moins jusqu’à ce qu’il eût formé son parti, et qu’il eût arrangé ses mesures. La mauvaise volonté et la passion se formaient des phantômes terribles. Il lui paroissait étonnant qu’on eût poussé si loin l’animosité contre un homme capable de vues si pacifiques et si honnêtes, qui avait montré, d’ailleurs, tant d’empire