Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/181

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été dissipées par un événement qui ne me laisse à leur place qu’une délicieuse perspective. Il se trouve que cet officier m’était envoyé par mon oncle, (je m’étais bien imaginé qu’il ne pouvait être fâché pour toujours), et que tout est venu de l’entretien que le cher M Hickman s’est procuré avec lui. Quoique la visite de M Hickman n’ait pas été reçue trop favorablement, mon oncle n’aura pu s’empêcher d’y faire plus de réflexion ; et les argumens qu’il avait rejetés d’abord, lui seront revenus avec plus de force. Un refus passionné doit-il jamais faire désespérer du succès d’une demande raisonnable ? " elle représente le capitaine Tomlinson, pendant le déjeûner qu’il a fait avec elle, " comme un homme grave et d’un excellent caractère : d’une fort belle physionomie, dit-elle dans un autre endroit ; âgé d’environ cinquante ans. Elle ajoute qu’elle a pris du goût pour lui à la première vue. " comme l’avenir lui présente des apparences plus favorables que jamais, elle croit aussi que l’espérance de la réformation de M Lovelace est mieux fondée qu’elle n’avait encore osé s’en flatter. " nous avons eu, continue-t-elle, beaucoup d’embarras à concilier quelques parties du caractère de M Lovelace avec d’autres ; c’est-à-dire, les bonnes qualités avec les mauvaises ; par exemple, sa bonté pour ses fermiers, sa générosité pour la petite-fille de l’hôtellerie, son empressement à m’offrir la compagnie de ma bonne Norton, et plusieurs autres traits. Mêlange inexplicable, lui ai-je dit quelquefois à lui-même ; car il est certain qu’il a le cœur dur, comme j’ai eu raison de lui en faire un reproche en lui rappelant sa conduite avec moi dans vingt occasions. En vérité, ma chère, j’ai pensé plus d’une fois qu’il prend plus de plaisir à me voir en pleurs, qu’à me donner sujet d’être contente de lui. M Morden me disait dans sa lettre, que les libertins ne connaissent point de remords. Je trouve la vérité de cette réflexion dans la nature même de leur caractère. M Lovelace est un homme fier. C’est une observation que nous avons faite il y a long-temps. Je crains de bonne foi que sa générosité même ne vienne plutôt de sa fierté et de son orgueil que d’un véritable amour pour les créatures de son espèce ; sentiment qui distingue les ames bienfaisantes. Il ne fait cas des richesses qu’autant qu’elles peuvent servir à soutenir sa fierté et son indépendance. J’ai souvent pensé qu’il est aisé de soumettre une passion du second ordre, à la satisfaction d’une passion dominante. La source du mal ne serait-elle pas quelque défaut dans son éducation ? Je m’imagine qu’on ne s’est point assez attaché à connaître le fond naturel de ses inclinations. Dans l’opulence où il est né, on l’a peut-être instruit à faire des actions généreuses ; mais je doute qu’on lui en ait fait sentir les vrais motifs. Autrement sa générosité n’aurait pas les mêmes bornes que son orgueil. L’humanité en serait le principe : il ne se contenterait pas de faire des choses louables, comme par accès, ou comme si, se reposant sur la doctrine des actions méritoires , il croyait que l’exercice d’une vertu est une expiation suffisante pour un vice. Il serait noble avec plus d’uniformité, et porté au bien pour l’amour du bien même. Ah, ma chère ! Quel est mon partage ! Un homme dont la vertu consiste dans son orgueil, et dont la seconde passion dominante est la vengeance ! Il