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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/200

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à tour, toutes trois royales ; l’amour, la vengeance et l’ambition, ou le désir des conquêtes. L’invention particulière de Tomlinson et de l’oncle te paraîtra peut-être un peu noire. Je ne l’aurais pas mise en œuvre, si ces deux filles ne m’avoient fait naître l’envie de trouver un mari pour leur Madame Towsend. Il n’est question d’ailleurs que de les prévenir. Me crois-tu capable de souffrir qu’on l’emporte sur moi par la ruse ? Et cette invention même ne coupe-t-elle pas court à quantité de désastres ? Peux-tu penser que j’eusse abandonné tranquillement ma déesse à la contrebande de la Towsend ? Quel est le but d’une autre de tes réflexions, si ce n’est de ruiner ton propre plaidoyer ? " les gens de notre classe, dis-tu, ne renoncent à leur méchanceté que par impuissance. " tu as donc oublié que Clarisse est en mon pouvoir. Tu ajoutes " que je n’ai que trop éprouvé ce modèle de vertu. " erreur ; car je n’ai pas encore commencé à l’éprouver. Tout ce que j’ai fait jusqu’à présent n’est qu’une préparation à l’épreuve. Mais ton inquiétude est pour les moyens que je puis employer, et pour l’honneur de ma bonne foi. Pauvre esprit que tu es ! Crois-tu qu’un homme ait jamais trompé une femme, si ce n’est aux dépens de la bonne foi ? Pourrait-on dire autrement qu’il l’a trompée ? à l’égard des moyens, tu ne t’imagines pas que j’attende un consentement direct. Mon espoir est dans un mêlange de consentement et de résistance, sans lequel je suis prêt à jurer qu’il n’y eut jamais de véritable viol, en supposant le combat entre deux personnes. La bonne reine élisabeth d’Angleterre eût été de mon opinion. Il ne serait pas mal à propos que le beau sexe fût instruit de ce que nous pensons sur ce point. J’aime à l’armer de précautions. Je voudrais être le seul homme qui réussît auprès des femmes. Ne t’ai-je pas dit un jour que, tout libertin que je suis, je ne suis pas l’ami d’un libertin ? Tu prétends que j’ai toujours eu de l’aversion pour le mariage. D’accord : et tu ne devines pas moins juste, lorsque tu ajoutes que j’épouserais Miss Harlove plutôt que de la perdre. Mais tu me menaces de sa haine éternelle, si je tente l’épreuve sans succès. Prends garde. Ne vois-tu pas que c’est m’avertir de ne pas l’épouser sans être résolu de vaincre ? Je dois te dire aussi que j’ai douté, pendant quelque tems, si je n’avais pas tort de t’écrire aussi librement que je fais, sur-tout dans la supposition que cette chère fille devienne ma femme. Chaque lettre que je t’écris n’est-elle pas un témoignage contre moi ? J’en accuse en partie ma vanité, et je crois que je serai plus circonspect à l’avenir ; car tu deviens très-impertinent. J’avoue qu’un homme de bien pourrait dire une partie des choses que tu permets à ta plume ; mais, en vérité, elles ont fort mauvaise grace de ta part ; et tu dois sentir que je te puis répondre sur chaque point, par nos principes communs, auxquels nous sommes attachés depuis long-temps. Ce que tu viens de lire te montre assez que je le puis. Dis-moi, je te prie, Belford, si je ne t’avais jamais écrit sur ce sujet, et si je ne m’étais pas accusé moi-même, quel aurait été l’abrégé de