Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/211

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quelle heure le déjeûner doit être prêt. La proposition est refusée d’une voix basse et chagrine. J’y vais moi-même. J’ai frappé trois fois à la porte, sans avoir obtenu la moindre réponse. Très-chère Clarisse, ai-je dit enfin, permettez que je m’informe de votre santé. On ne vous a pas vue d’aujourd’hui. Je suis impatient de savoir comment vous vous portez. Pas un mot. Mais j’ai cru entendre un profond soupir. Je vous demande en grâce, madame, de monter avec moi au second étage. Vous verrez avec joie de quel danger nous sommes heureusement échappés. Très-heureusement, en effet, Belford ; car le feu a laissé des traces effrayantes. Vous ne me répondez pas, madame ! Suis-je indigne d’une parole ? Est-ce ainsi que vous tenez votre promesse ? Ne m’accorderez-vous pas, pendant quelques minutes, l’honneur de votre compagnie dans la salle à manger ? Elle a toussé, elle a poussé un soupir ; c’est toute sa réponse. Apprenez-moi du moins l’état de votre santé. Dites-moi que vous vous portez bien. Est-ce là ce pardon qui devait être le prix de mon obéissance ? Alors, d’une voix foible, mais irritée, elle m’a pressé de quitter sa porte ; et sa chaleur croissant à chaque mot, elle m’a donné les noms de misérable, d’inhumain, de barbare et de tout ce qu’il y a de lâche et de perfide au monde. Quittez ma porte, a-t-elle répété, et n’insultez pas une malheureuse personne à qui vous deviez de la protection plutôt que des outrages. Voilà donc, madame, ai-je répondu, sans me plaindre de ses injures, le fond que j’ai à faire sur vos promesses ! Si les mouvemens imprévus, si les effets du hasard ne peuvent être pardonnés… ici, elle s’est écriée : ô terrible malédiction d’un père ! Je suis donc menacée de te voir accomplir à la lettre ! Sa voix se perdant alors dans un murmure qui ne paroissait point articulé, j’ai eu la curiosité de regarder par le trou de la serrure : je l’ai vue à genoux, le visage et les bras levés vers le ciel, les mains étendues, implorant sans doute le secours d’en-haut. Je n’ai pu me défendre de quelque émotion. Ma très-chère vie, ai-je repris d’un ton plus tendre, accordez-moi quelques momens d’entretien ; confirmez le pardon que vous m’avez promis ; et puisse la foudre m’écraser à l’instant, si je vous laisse quelque doute sur la sincérité de mon repentir. Je vous quitterai ensuite pour tout le jour, et demain je ne me présenterai à vous qu’avec les articles prêts à signer, et la permission obtenue ; ou, si je ne l’obtiens point, avec un ministre qui nous en tiendra lieu. Daignez me croire une fois. Lorsque vous aurez vu la réalité du danger qui est devenu la malheureuse occasion de votre ressentiment, vous jugerez moins mal de moi. Enfin je vous conjure d’exécuter votre promesse, à laquelle vous me permettrez de dire que je me suis fié assez généreusement. Je ne puis vous voir, m’a-t-on répondu ; et plût au ciel que je ne