et de recevoir ses soins comme ceux d’un amant reconnu. Vous vous exposeriez au reproche de pruderie et d’affectation, peut-être vous le feriez-vous à vous-même, si vous le teniez à la même distance qui a fait jusqu’à présent votre sûreté : son incommodité subite, et son rétablissement, qui ne l’a pas été moins, lui ont donné l’occasion de reconnaître que vous l’aimez. Hélas ! Ma chère, cette découverte n’est pas nouvelle pour moi. Vous m’apprenez qu’à chaque instant il en prend droit de pousser ses usurpations ; qu’il paraît avoir changé de naturel ; qu’il ne respire qu’amour et complaisance. C’est le loup qui s’est revêtu de la peau du mouton. Cependant il n’a pas laissé de montrer plus d’une fois les dents ; et je vois qu’il lui est impossible de cacher ses griffes. Les libertés qu’il a prises avec vous, à l’occasion de la lettre de Tomlinson, pour lesquelles vous n’avez pu vous dispenser de lui faire grâce, montrent l’avantage qu’il croit avoir obtenu, et le pouvoir qu’il a de pousser plus loin ses entreprises. J’appréhende beaucoup qu’il n’ait introduit Tomlinson dans cette vue ; c’est-à-dire, pour vous inspirer plus de sécurité, et pour faire l’office de médiateur, si ses hardiesses devenaient plus offensantes. Le jour de la célébration n’est plus en votre pouvoir, comme il devait l’être, puisqu’il dépend désormais du consentement de votre oncle, dont il a désiré la présence, à votre propre sollicitation ; désir, au reste, dont le succès me paraît fort douteux, quand toutes les apparences seraient réelles. Dans cette situation, s’il s’échappait à de plus grandes libertés, ne seriez-vous pas obligée de lui pardonner ? Contre une vertu si bien établie, je ne crains rien de sa malignité par les voies communes ; mais, dans la maison où vous êtes, dans les circonstances où je vous vois, que je redoute la surprise ! Cet infame libertin n’a-t-il pas déjà triomphé de plusieurs femmes dignes de son alliance ? Quelle sera donc votre résolution, ma très-chère amie ? Que vous proposerai-je pour ressource, si ce n’est de fuir cette maison, cette infernale maison ? Ah ! Puissiez-vous trouver dans votre cœur la force de le fuir lui-même ! Si vous y étiez disposée, Madame Towsend serait prête à recevoir aussi-tôt vos ordres. Cependant, si vous ne voyez pas de nouveaux obstacles, ou de nouvelles raisons de défiance, je suis toujours persuadée que votre réputation, aux yeux du monde, je ne parle plus de votre bonheur, vous fait une loi d’être sa femme. Il est cruel, à la vérité, que, pour récompense de leurs infamies, ces libertins obtiennent ce qu’il y a de plus estimable dans notre sexe, tandis que la dernière femme du monde ne leur devrait que du mépris. Mais si vous trouvez le moindre fondement à de nouveaux soupçons, s’il cherche à vous retenir dans cette odieuse demeure, ou s’il veut différer votre départ, à présent que vous connaissez le caractère de vos femmes ; fuyez, ne balancez point à fuir, de quelque espérance qu’il puisse vous flatter. Dans une de vos promenades, s’il ne se présente point d’autre voie, refusez absolument de retourner avec lui. Déclarez-lui que vous êtes informée. Ne faites pas difficulté de me nommer. Si vous jugez que les circonstances ne vous permettent pas de rompre avec lui, feignez de croire qu’il peut ignorer ce que c’est que votre maison ; et dites-lui que je le crois moi-même : quoique, de votre part et de la mienne, cette feinte doive lui paraître peu vraisemblable. La chaleur, qui est étouffante depuis quelques
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