Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/236

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plus que vous me renouveliez les offres sur lesquelles votre bonté vous a fait insister tant de fois. J’ai mes bagues et d’autres effets de quelque prix, qui m’ont été envoyés avec mes habits, et qui, étant changés en argent, pourront fournir à tous mes besoins, jusqu’à ce que la providence m’ouvre quelque voie de m’occuper utilement ; du moins, si, pour augmenter ma punition, la vie m’est prolongée plus long-temps que je ne le désire. N’attribuez pas ce plan, ma chère amie, à l’abattement de mon courage, ni à ce tour d’imagination romanesque dont nous avons souvent observé les effets sur les jeunes personnes de notre sexe. Considérez ma triste situation, dans le jour sous lequel il me semble qu’elle doit être envisagée par tous ceux qui en seront informés. Premièrement, l’homme qui a l’audace de s’attribuer des droits sur moi, va s’efforcer de me suivre à la trace, et me chercher comme un meuble égaré. Qui sait s’il n’exercera pas impunément ses violences ? Je n’ai personne dont la protection puisse me mettre à couvert. En second lieu, ma terre, cette terre qui excite tant de jalousie, et qui est l’origine de toutes mes infortunes, ne sera jamais à moi, s’il faut avoir recours, pour l’obtenir, aux voies communes de la justice. Quel avantage me reviendra-t-il de pouvoir me vanter que j’ai plus de bien que je n’en désire, ou que je n’en puis employer ? La seule grâce que je demanderai quelque jour à mon père, sera d’assurer, sur mon revenu, une petite pension à ma chère Madame Norton, pour lui faire passer doucement le reste de ses jours ; et de distribuer tous les ans une autre petite somme en aumônes, dans l’unique vue que ceux qui auraient eu droit à mes bienfaits, se ressentent le moins qu’il me sera possible des conséquences de ma faute. Ce devoir une fois rempli, que le ciel bénisse ma famille, et qu’elle jouisse tranquillement du reste ! Vous expliquerai-je d’autres raisons qui m’attachent à la résolution dont j’ai parlé ? Le cruel personnage sait que je n’ai pas au monde d’autre ami que vous. Quand vous trouveriez le moyen de me procurer quelque retraite obscure dans votre voisinage, il ne faut pas douter que ses recherches ne tournent d’abord de ce côté-là ; et vous vous trouveriez alors exposée à de nouveaux embarras, plus fâcheux encore que tous ceux dans lesquels j’ai déjà eu le malheur de vous engager. Je n’ai pas de protection à me promettre de M Morden, quand son retour serait aussi peu éloigné que je me l’imagine. La lettre que j’ai reçue de lui ne doit laisser aucun doute que mon frère ne l’ait engagé dans son parti. D’ailleurs, je ne voudrais pas exposer un homme si estimable au danger qui le menacerait de la part d’un furieux. En partant de ces principes, quel meilleur parti pour moi, que de passer dans quelqu’une de nos colonies, d’où je ne donnerai de mes nouvelles qu’à vous ; avec la restriction de ne vous en donner à vous-même, qu’après m’être fixée dans quelque situation qui convienne à ma fortune et à mes vues ; car ce n’est pas une petite partie de mon chagrin, que le blâme de mes fautes puisse réjaillir sur vous, ma très-chère amie ; hélas ! Sur vous, à qui je me flattais autrefois de causer plus de satisfaction que de peine. Je suis actuellement dans le village d’Hamstead, chez une femme qui se nomme Madame Moore . Mon cœur ne m’a rien promis d’heureux dans ce lieu, parce que j’y suis venue plus d’une fois avec mon persécuteur :