M Belford est le quatrième convive, et celui pour lequel il m’a paru que M Lovelace a le plus d’estime et d’affection. Je crois avoir compris que c’est un homme d’une valeur éprouvée. Ils sont devenus amis à l’occasion d’une querelle (pour quelque femme, peut-être), et d’une rencontre aux carrières de Kensington, où quelques survenans eurent le bonheur de les réconcilier. Il me semble que M Belford n’a pas plus de vingt-sept ou vingt-huit ans. C’est le plus jeune des cinq, après M Lovelace. Peut-être sont-ils les deux plus méchans ; car ils paroissent capables de conduire les trois autres à leur gré. M Belford est mis proprement, comme les autres : mais il n’a pas ces avantages de figure et d’ajustement dont M Lovelace est trop vain. Cependant il a l’apparence d’un homme de condition. Les bons auteurs anciens, et nos meilleurs écrivains, lui sont familiers. La conversation, par son moyen, a quelquefois pris un tour plus agréable : et moi, qui, passant parmi eux pour Madame Lovelace, m’efforçais de donner la meilleure face qu’il m’était possible à ma situation, je me suis jointe alors à eux, et j’ai reçu de toute la compagnie une abondance de complimens sur mes observations. M Belford paraît obligeant et de bon naturel. Quoique plein de complaisance, il ne la porte point à l’excès comme M Tourville. Il s’exprime avec beaucoup de facilité et de politesse, et j’ai cru remarquer un fonds de bonne logique dans son esprit et dans ses raisonnemens. Monsieur Belton a les mêmes prétentions. Ils s’attaquaient tous deux dans cette forme, en nous regardant, nous autres femmes, comme pour observer si nous admirions leur savoir, lorsqu’ils étoient contens d’eux-mêmes. Mais, avec plus de pénétration et de justesse, M Belford emportait visiblement l’avantage ; et le sentant bien lui-même, il prenait plaisir à défendre le côté foible de l’argument. Quelque peu de goût qu’on ait en général pour les sujets qui se traitent dans ces occasions, on s’y prête autant que la bienséance le permet, et par le rapport qu’ils ont à d’autres vues. Il m’aurait été difficile de ne pas souvent observer combien M Lovelace était au-dessus de ses quatre amis, dans les choses mêmes sur lesquelles ils avoient la meilleure opinion de leur propre mérite. Pour ce qui regarde l’esprit et la vivacité, il n’y en avait pas un qui approchât de lui. Ils s’accordaient tous à lui céder lorsqu’il ouvrait les lèvres. Le fier Mowbray exhortait alors Tourville à finir son babil ; il poussait du coude le sourcilleux Belton, pour lui faire faire attention que Lovelace allait parler ; et lorsqu’il avait parlé, les termes de charmant garçon sortaient de toutes les bouches, avec quelque expression cavalière d’admiration, ou peut-être d’envie. Effectivement, il a des avantages si particuliers dans la figure, dans le langage, et dans les manières, que, si l’on n’avait soin de veiller sur soi-même, et de distinguer la vérité des fausses apparences, on serait souvent exposé à l’illusion. " voyez-le, dans une compagnie nombreuse, m’a dit M Belford ; on ne fait attention qu’à lui ". Ce Belford, ayant vu sortir son ami pour un moment, a profité de son absence pour s’approcher de mon oreille ; et de l’air d’un favori, qui est dans le secret de l’aventure, il m’a fait un compliment de félicitation sur mon mariage supposé ; en m’exhortant à ne pas insister trop long-temps sur les rigoureuses conditions que j’avais imposées à un si galant homme. Ma confusion, dont il s’est aperçu,
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