Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/341

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m’embrassant les genoux : cher Lovelace ! M’a-t-elle dit, d’une voix tremblante ! Si jamais… si jamais… si jamais… là, sans pouvoir ajouter un seul mot, et lâchant mes genoux, elle est tombée sans mouvement sur le plancher. Je suis demeuré dans l’étonnement que tu peux te représenter. Tous mes projets ont été suspendus quelques instans. Je ne savais ce que j’avais à dire ou à faire. Mais, après un peu de réflexion, suis-je prêt, ai-je pensé, à me trahir encore une fois ? Et me laisserai-je ici jouer ou vaincre ? Si je recule, c’est fait de moi pour jamais. Je l’ai soulevée ; mais elle est retombée aussitôt, les jambes lui manquant, comme s’il s’était fait une dissolution dans ses jointures. Cependant elle ne paroissait pas évanouie. Je n’ai jamais vu ni entendu rien d’approchant. Presque sans vie, ou du moins sans usage de la voix pendant quelques momens. Quelle doit avoir été sa terreur ! Cependant à l’occasion de quoi ? Cette chère ame se fait de furieuses idées des choses ! Ignorance pure ai-je pensé. Cependant je suis parvenu à la lever. Je l’ai placée sur une chaise ; et je lui ai reproché de se livrer à de vaines alarmes. Je lui en ai marqué de l’étonnement. Je l’ai conjurée de se rassurer ; de se reposer sur ma foi et mon honneur. Je lui ai renouvelé tous mes anciens sermens, et j’en ai prodigué de nouveaux. à la fin, ouvrant la bouche, avec un sanglot capable de fendre le cœur, elle m’a dit en termes interrompus ; je vois… je vois, M Lovelace, je vois… je vois que je suis perdue… si… si votre pitié… ah ! J’implore votre pitié : et sa tête, comme un lis surchargé de rosée, dont la tige est à demi rompue, s’est abaissée sur son sein, avec un soupir qui m’a réellement pénétré l’ame. Je lui ai représenté tout ce qui m’est venu à l’esprit pour relever son courage. Lorsqu’elle s’est trouvé un peu plus de force, elle m’a demandé pourquoi je n’avais pas envoyé chercher le carrosse, comme je l’avais proposé. J’ai répondu qu’on y était allé sur le champ, mais que miladi avait envoyé chercher un médecin pour Miss Montaigu, dans la crainte qu’il ne se fît trop attendre. M Lovelace ! M’a-t-elle dit, d’un air de défiance, et la douleur dans les yeux. Miladi Lawrance, ai-je repris, pourrait trouver étrange qu’elle se fît une peine de demeurer une nuit, pour l’attendre, dans une maison où elle en avait passé un si grand nombre. Elle m’a donné, là-dessus, des noms injurieux. J’ai pris patience. Elle a parlé de se rendre chez Miladi Lawrance. Oui, elle y voulait aller sur le champ… du moins (en se reprenant avec un soupir) si la personne à laquelle je donnais ce nom, était Miladi Lawrance en effet. si ! ma chère ; juste ciel ! Quelle horrible idée ce doute m’apprend que vous vous faites de moi ! Pourquoi l’y forçais-je ? M’a-t-elle dit. Mais, si ses soupçons étoient mal fondés, qu’il lui fût permis du moins d’aller chez Miladi Lesson. Alors, prenant un ton plus résolu ; j’irai, a-t-elle repris. Je demanderai mon chemin. J’irai seule… et dans ce mouvement, elle a voulu forcer le passage. Je l’ai retenue, en passant mes deux bras autour d’elle. Je lui ai représenté l’état de Miss Montaigu, et combien son impatience allait augmenter l’incommodité de cette pauvre cousine. Elle a protesté qu’elle ne me croyait plus, qu’elle ne me croirait jamais, si je ne faisais venir sur le champ un carrosse du coin de la rue, puisqu’il ne lui était permis d’aller, ni chez Miladi Lawrance, ni chez Miladi Lesson ; et si je ne lui laissais la liberté de retourner à Hamstead, quelque heure qu’il pût être. Elle partirait seule. Tant mieux, si je la laissais partir