Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/361

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Mais si je l’avais menée dans toute autre maison d’Angleterre où il se fût trouvé quelque domestique capable de pitié ou de corruption, qu’en serait-il arrivé ? à dix heures du matin. Elle est fort mal, extrêmement mal, me dit Dorcas, dans la seule vue d’éviter apparemment de me voir. Cependant il se peut qu’elle soit fort mal d’esprit. Mais n’est-ce pas une équivoque ? Dans tous les cœurs humains, une passion dominante renverse les principes. La mienne est alternativement l’amour et la vengeance. Celle de ma charmante est la haine. Ma consolation, Belford, c’est qu’après la haine, l’amour commence, ou plutôt se renouvelle ; du moins si l’amour a jamais eu quelque part aux mouvemens de son cœur. Mais, réflexion à part, tu vois que son complot avance ; c’est demain qu’il doit s’exécuter. Je suis sorti pour faire une nouvelle ligne de circonvallation. Mes soins me rendent tranquille. J’ai fait demander instamment la permission de voir ma chère malade, à l’occasion du mauvais état de sa santé. Dorcas m’a fait des excuses officieuses. J’ai maudit l’impertinence de cette créature, assez haut pour être entendu. J’ai frappé du pied, je me suis emporté. Le bruit de mes menaces a fait assez d’impression sur l’esprit de ma belle pour lui faire appréhender que sa fidèle confidente ne fût précipitée du haut des degrés en bas. " le misérable est d’une violence extrême, a-t-elle dit à Dorcas ; mais tu as, ma chère, une amie dans moi pour le reste de tes jours. " c’est sa chère Dorcas à présent ; et ce n’est plus Dorcas Wykes ; c’est Dorcas Martindale, qui est en effet son véritable nom. Et par-dessus le lien de l’intérêt, la chère personne se l’est attachée par des sermens solemnels. Mais écoute un charmant dialogue : où vous proposez-vous d’aller, madame, en quittant cette maison ? " je me jetterai dans la première que je trouverai ouverte, et j’y demanderai de la protection, jusqu’à ce que je puisse me faire amener un carrosse, ou me loger dans quelque honnête famille. " comment ferez-vous, madame, pour des habits ? Je doute que vous puissiez en emporter d’autres que celui que vous avez sur vous. " oh ! C’est ce qui m’importe peu, si je puis seulement sortir de cette maison. " que ferez-vous pour de l’argent, madame ? J’ai entendu dire à monsieur qu’il n’avait jamais pu vous faire consentir à lui avoir la moindre obligation, quoiqu’il ait appréhendé que vous fussiez sans argent. " oh ! J’ai des bagues et quelques bijoux de prix. à la vérité, il ne me reste pas plus de quatre guinées, dont j’avais même destiné deux à quelque charitable usage : mais, hélas ! La charité doit commencer à présent par moi-même. Une chère amie que j’ai encore, si je dois la croire en vie, en me laissera pas manquer absolument, lorsque je viendrai à l’informer de mes besoins. Ah ! Dorcas, je n’aurais pas été si long-temps sans entendre parler d’elle, si je n’avais pas été trahie. " je vois, madame, que votre sort est fort triste ; j’en suis touchée jusqu’au cœur. " que je te remercie, Dorcas ! C’est un malheur pour moi de n’avoir pas fait réflexion plutôt que je pouvais me fier à la pitié de ton sexe. " ce n’est pas d’aujourd’hui, madame, que j’ai senti de la compassion pour vos peines ; mais vous avez toujours paru vous défier de moi. D’ailleurs,