Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/395

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l’Angleterre, il n’y a pas plus de sûreté pour vous dans le nouvel asile où vous êtes. Pourquoi de justes imprécations ne sont-elles pas exaucées ? Que vous seriez vengée déjà par les miennes ! Il faut que cet horrible scélérat se voit vendu à l’enfer pour un tems. Puisse le tems être abrégé ! Puisse son infernal correspondant lui manquer de foi, comme il en manque lui-même aux autres ! Je ne me borne point à vous envoyer l’esquisse de ma longue lettre du 7. J’y joins les principaux articles de celle que vous deviez recevoir à Hamstead. Vous jugerez, après les avoir lus, combien ma surprise était juste, de ne recevoir aucune réponse à ces deux lettres ; et combien elle dut redoubler, lorsque Madame Towsend m’écrivit, d’Hamstead, " que M Lovelace, après y avoir passé plusieurs jours avec vous, avait amené chez Madame Moore sa tante et sa cousine, qui vous avoient fait consentir à retourner avec elles dans votre premier logement ; que les femmes d’Hamstead vous croyaient mariée, et m’accusaient d’avoir entretenu la mauvaise intelligence entre vous et M Lovelace ; qu’il était à Hamstead le jour d’auparavant, c’est-à-dire, le mercredi 14, et qu’il s’était applaudi de son bonheur ; qu’il avait invité Madame Moore, Madame Bévis et Miss Rawlings, à faire le voyage de Londres, pour rendre visite à son épouse ; qu’il avait déclaré que vous aviez repris un nouveau goût pour votre première demeure, et qu’il avait satisfait honorablement à votre dépense, pendant le peu de jours que vous aviez passés chez Madame Moore ". Je ne vous déguiserai pas, ma chère, que ces apparences m’avoient causé assez d’étonnement et de chagrin, pour me faire prendre la résolution de demeurer aussi tranquille qu’il me serait possible, et d’attendre qu’il vous prît envie de me répondre. Cependant je ne pus modérer long-temps mon impatience ; et le 20 de juin, je vous écrivis une lettre assez vive que vous n’avez pas reçue. Quelle fatalité dans toute votre aventure, depuis le premier moment jusqu’aujourd’hui ! Si ma mère avait permis… mais puis-je la blâmer, lorsque vous avez un père et une mère qui méritent tant de reproches ? Plus, sans doute, que des parens n’en méritèrent jamais, si l’on considère quelle fille ils ont chassée, persécutée, indignement abandonnée ! Après tout, c’est sur votre monstre que retombent toujours mes imprécations, avec le regret de les voir malheureusement impuissantes. Ses trahisons et ses parjures nous apprennent ce qu’il faut attendre des libertins, lorsqu’une jeune personne s’expose à leurs artifices. Il y a beaucoup d’apparence que, dans son insupportable présomption, il a compté d’abord sur une conquête plus aisée. Mais, lorsque votre vigilance sans exemple et votre incomparable vertu l’ont mis dans la nécessité d’employer les breuvages, le rapt et les dernières violences, vous voyez que l’idée du crime ne l’a jamais effrayé. Je ne doute pas que les gens du même caractère ne s’abandonnassent plus souvent aux mêmes excès, si l’imprudence et la crédulité de notre sexe n’abrégeaient les difficultés de leur triomphe. Quelle doit être la satisfaction d’un père et d’une mère qui ont heureusement disposé de leur fille en faveur d’un homme vertueux ! Qu’une jeune femme est heureuse, de se trouver sous la protection d’un mari digne de son respect autant que de son amour ! Si Clarisse Harlove n’est pas échappée, qui se flattera d’être à couvert du danger ? Tous les libertins ne sont pas des Lovelace ; mais il est bien plus certain que toutes les femmes ne sont pas des Clarisse. Les attentats de votre monstre n’ont été que proportionnés à votre résistance. Ma mère m’a donné ordre de vous communiquer ses idées sur le fond de votre déplorable aventure. Je le ferai dans une autre lettre, que je me propose de vous envoyer avec celle-ci par un exprès. à l’avenir, mon dessein, si vous l’approuvez, est d’employer l’ancienne voie de Collins, qui laissera mes lettres à la tête du sarrazin , près de Saint-Dunstan. Vous y enverrez les vôtres, qu’il ne prendra pas moins fidèlement, excepté celles que d’autres raisons peuvent vous porter à faire partir par la poste. Mais il faudra bientôt que celles-là soient adressées, comme autrefois, à M Hickman ; ma mère paraît déterminée à faire dépendre la liberté de notre correspondance, d’une condition à laquelle je doute que