Aller au contenu

Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/411

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

décrire, tombait, en boucles irrégulières, sur une partie du plus beau cou du monde ; et son fichu n’avait pas un air moins négligé. Elle avait un côté du visage appuyé sur ses deux bras croisés, de manière qu’on découvrait aisément l’autre. Qu’il était différent de ce que je l’ai vu ! Mais qu’il offrait de charmes, malgré les traces de la maladie et de la douleur ! Après avoir rassasié mes yeux d’un spectacle si touchant, je me suis senti presque étouffé de mille sentimens d’inquiétude et de compassion, qui s’étoient comme accumulés dans mon cœur. à peine ai-je retrouvé la force de parler. Enfin, l’indignation prenant la première place, que le ciel vous confonde ! Ai-je dit à l’archer, qui m’avait conduit avec sa femme. Est-ce ici l’appartement où vous avez osé placer… un regard furieux dont je n’ai pas manqué d’accompagner ce reproche, a paru le pénétrer de crainte. Nous n’en avons pas de plus commode, s’est-il hâté d’interrompre. Nous avons offert à madame notre propre chambre, qu’elle a refusée. Notre fortune ne nous permet pas d’être mieux, et nous supposons qu’on n’a jamais un long séjour à faire ici. Je ne doute pas, ai-je repris, que votre maison n’ait été choisie à dessein, par la détestable femme qui vous emploie. Mais si le traitement que vous avez fait à cette jeune dame ressemble le moins du monde au logement, tremblez pour la vengeance dont vous êtes menacé. Ici la charmante infortunée a levé son aimable visage ; mais avec des témoignages si sensibles de tristesse et de langueur, que je n’ai pu me défendre du plus vif attendrissement. Elle a fait deux ou trois signes de la main vers la porte, pour m’ordonner apparemment de sortir, et fâchée, sans doute, de me voir si près d’elle ; mais sans prononcer un seul mot. Souffrez, madame, lui ai-je dit aussi-tôt, ah ! Souffrez que je vous parle un moment. Je n’approcherai pas de vous sans votre permission. Non, non. Retirez-vous, homme ! M’a-t-elle répondu avec une espèce d’emphase. Elle aurait voulu continuer ; mais, paroissant manquer de force, ses paroles sont demeurées sur ses lèvres ; sa tête est retombée sur son bras gauche, avec un profond soupir, et l’autre bras, engourdi peut-être par la situation dont il sortait, s’est allongé, comme de lui-même, et sans autre mouvement, sur sa robe. ô Lovelace ! Que n’étais-tu témoin de ce spectacle ? Mais ce qui s’est passé alors dans mon ame m’a convaincu que la sensibilité pour les malheurs d’autrui ne déshonore point un homme de courage. Avec quel plaisir, dans ce moment, n’aurais-je pas exposé ma propre vie pour la venger… oui, pour la venger de son destructeur, comme elle a raison de te nommer, quoique je n’aie pas de meilleur ami sur la terre ? Dans le même tems néanmoins, je me sentais le cœur et les yeux si attendris, que, tout éloigné que je suis d’être aussi dur que toi, je ne me souviens pas d’avoir jamais éprouvé le même sentiment. Je me garderai bien, lui ai-je dit du ton le plus humble et le plus affectueux, de m’approcher de vous sans votre consentement. Mais je vous demande à genoux la permission de vous délivrer d’un misérable état, et du pouvoir d’une femme détestable qui vous a plongée dans cette nouvelle disgrace. Elle a levé la tête ; et me voyant à genoux : n’êtes-vous pas M Belford ? Il me semble, monsieur, que votre nom est Belford. Oui, madame, et j’ai toujours adoré vos vertus. J’ai toujours soutenu votre cause. Je viens vous arracher des mains où vous êtes. Et pour me livrer à qui ? Laissez-moi, laissez-moi. Je ne pense plus à quitter jamais ce lieu. Jamais, jamais, je ne prendrai confiance aux discours d’un homme. à l’instant, madame, à ce moment, vous pouvez choisir votre retraite. Vous êtes libre, et maîtresse de vos résolutions. Tout lieu m’est égal au monde. Je puis mourir ici. Mais je n’aurai jamais d’obligation à l’ami de l’homme avec qui vous m’avez vue. Sortez, monsieur ; de grâce, sortez.