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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/413

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prévenu la justice du ciel, en l’étranglant de mes propres mains. Observe qu’il ne m’est pas échappé, avec Miss Harlove, un seul mot qui ait rapport à toi. J’ai remarqué trop clairement qu’elle n’aurait pu supporter ton nom. Cependant je regrette de ne t’avoir pas justifié, du moins sur cette dernière infamie. Aussi-tôt qu’elle s’est trouvée mieux, je l’ai fait presser par la femme de Rowland, d’abandonner une demeure indigne d’elle ; et cette femme lui a répété plusieurs fois qu’elle était libre de retourner à son logement. Mais elle s’est comme obstinée à ne lui faire aucune réponse ; et je doute si la force de parler ne lui manque pas autant que l’inclination. Il m’est venu à l’esprit de faire appeler le docteur Hobbs, qui est fort de mes amis. Cependant quel moyen de l’introduire dans une maison de cet ordre, et pour une femme de cette apparence, sans lui expliquer une partie de la vérité, que ton intérêt assurément ne sera jamais de faire éclater. Il n’a pas été possible de la faire consentir à passer dans la chambre de Rowland, qui est plus propre et mieux éclairée. Ces misérables m’ont dit que celle où je l’ai vue se serait trouvée plus en ordre, si le jour même de son arrivée il n’en étoit sorti un malheureux débiteur, qui n’est devenu libre, autant que j’ai pu le comprendre, que pour être porté à son dernier gîte. Apprenant qu’elle souhaitait d’être seule, et qu’elle paroissait disposée à s’assoupir, j’ai pris ce tems pour me rendre à son logement, dont j’avais demandé l’adresse à Dorcas. Son hôte, qui se nomme Smith, est un marchand gantier, qui joint d’autres petits commerces à cette profession, et qui m’a paru fort honnête-homme. Mon dessein était de prendre sa femme avec moi, pour retourner chez Rowland ; mais, ne l’ayant pas trouvée au logis, je n’ai pas fait difficulté de raconter au mari ce qui s’était passé depuis trois jours, par un mal-entendu, qui n’avait produit que du trouble et des regrets ; j’ai rendu à Miss Harlove le témoignage qu’elle mérite, et j’ai prié Smith de lui envoyer sa femme au moment de son retour, dans l’espérance que cette visite servira beaucoup à la consoler. Il m’a dit qu’il était venu deux lettres pour elle ; l’une, samedi par la poste ; l’autre, une heure avant mon arrivée, par un exprès, qui, apprenant son absence, et ce qu’on avait pu découvrir de sa disgrace, était parti avec autant d’inquiétude que de diligence, après avoir répété plusieurs fois, que cette nouvelle étoit capable de faire mourir de chagrin la personne qui l’avait envoyé. J’ai jugé à propos d’emporter ces deux lettres ; et, renvoyant mon carrosse, j’ai pris une chaise à porteurs, comme une voiture plus commode pour ta Clarisse, si l’ami de son destructeur peut l’engager à quitter la maison de Rowland. Une affaire indispensable, qui va m’occuper quelques momens, m’oblige de laisser partir ton courrier avec cette lettre et celle d’hier, sans lui proposer d’attendre d’autres éclaircissemens qui le retarderaient peut-être jusqu’au soir. à la vérité, je ne suis pas fâché de te faire un peu sentir, à ton tour, les tourmens du doute et de l’impatience. Je sais que ceux qui les détestent le plus, sont ordinairement ceux qui craignent le moins d’y exposer les autres. Tu m’as donné cent preuves de la vérité de cette observation. Mais je m’embarrasse peu de tes fureurs. Cependant, avec quelque diligence que tu puisses renvoyer le courrier, ma première lettre sera prête pour son arrivée. Tu conviendras que celles-ci sont assez longues pour te convaincre de l’ardeur que j’ai à t’obliger.



M Lovelace, à M Belford.

lundi, 17 juillet, à onze heures du soir. Au diable ton cœur de pierre ! Quel plaisir peux-tu prendre à me déchirer par tes interruptions affectées ? Il est impossible que les tourmens de Miss Harlove aient jamais égalé les miens. Ce sexe est fait pour souffrir. C’est une malédiction que la première femme a transmise à toutes les filles qui sont sorties d’elle. Aussi voyons-nous qu’hommes et enfans, ce