Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/432

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qu’il ne m’échappera jamais rien qui puisse rabaisser Miss Harlove dans l’estime d’une amie qu’elle croit la seule qui lui reste. Peut-être ne convient-il pas que je sois informé de votre troisième reproche. Mais, à l’exception de son implacable famille, je ne connais personne qui ait jamais conçu le moindre doute de son honneur. Un jour, à la vérité, Madame Howe, après avoir reçu la visite d’un de ses oncles, nous dit qu’elle craignait qu’il n’y eût quelque foiblesse à lui reprocher. Mais jamais, hors de cette occasion… comment ! Monsieur (en prenant un ton, et m’approchant de lui d’un air qui lui a fait faire deux pas pour reculer), quel langage ! Savez-vous que le doute approcherait ici du blasphême. Savez-vous que Miss Harlove est plus pure qu’une vestale ; car les vestales ont quelquefois brûlé de leurs propres feux ? Savez-vous que, depuis l’origine du monde, jamais une femme n’a triomphé des mêmes épreuves ? Apprenez, monsieur, qu’on n’a jamais rien vu, rien entendu, qui soit comparable pour l’honneur à Miss Clarisse Harlove. Monsieur, monsieur, pardon. à dieu ne plaise que je doute de son honneur ! Je n’ai rien dit qui puisse recevoir cette interprétation : je suis rempli pour elle du plus profond respect. Miss Howe la chérit plus qu’elle-même ; ce qu’elle ne ferait pas, si elle ne lui connaissait une vertu égale à la sienne. égale à la sienne, monsieur ? J’ai de fort hautes idées de la vertu de Miss Howe ; mais j’oserais dire… quoi ? Monsieur. Qu’oserez-vous dire de Miss Howe ? Je me flatte que vous ne présumerez pas d’attaquer ici sa vertu. présumer ! M Hickman. C’est ce terme, M Hickman, que je trouve assez présomptueux. L’occasion le serait beaucoup plus, M Lovelace, s’il était vrai qu’elle fût prise à dessein. Je n’ai aucune disposition à m’offenser, surtout lorsque je fais l’office de médiateur : mais je n’entendrai jamais parler tranquillement au désavantage de Miss Howe. Ce ton me satisfait beaucoup plus, M Hickman ; quoique je ne condamne point votre chaleur à l’occasion que vous supposez. Mais ce que je voulais seulement dire, c’est qu’à mon avis il n’y a point de femme au monde qui doive se comparer à Miss Harlove, jusqu’à ce qu’elle ait résisté aux mêmes épreuves, et qu’elle y ait tenu la même conduite. Vous voyez, monsieur, que je vous prête des armes contre moi-même. Mais, tout libertin qu’on me croit, je n’entreprendrai jamais de donner mes actions pour une règle de justice et de vertu. Je trouve, monsieur, de la droiture et de la noblesse dans ce langage. Quel malheur, souffrez cette réflexion, que le même homme qui est capable d’un si beau sentiment, n’ait pas toujours la force d’y conformer ses actions ! C’est un autre point, M Hickman. Chacun a ses vices comme ses vertus. Je souhaite, au reste, que Miss Howe ne soit jamais exposée aux épreuves de Miss Harlove ; et je me réjouis qu’elle n’en ait point à redouter d’une aussi bonne ame que vous. (pauvre Hickman ! Il m’a paru incertain s’il devait prendre cette félicitation pour un compliment ou pour une raillerie). Mais, ai-je continué, puisque votre curiosité me paraît émue, et que je ne dois pas vous laisser partir avec le moindre doute qui puisse être injurieux à la plus admirable de toutes les femmes, je suis porté à vous communiquer mon troisième sujet de reproche. Que penseriez-vous, M Hickman, et quel serait l’étonnement de Miss Howe, si je vous disais que son admirable amie est d’autant plus déterminée contre moi (et sans doute par un sentiment de vengeance), qu’elle encourage les prétentions d’un autre amant ? Que me dites-vous, monsieur ? Ah ! C’est une supposition qui me paraît impossible. Je vous assure hardiment que si Miss Howe pouvait se l’imaginer, elle n’y donnerait jamais son approbation. Quelque aversion que vous lui jugiez pour vous, et quoiqu’elle condamne en effet votre conduite à l’égard de son amie, je sais que, suivant son opinion, Miss Harlove ne doit jamais avoir d’autre mari que vous, et qu’il n’y a point de troisième parti pour elle entre la qualité de votre femme ou le célibat. La vengeance et l’obstination, M Hickman, portent les meilleures femmes à d’étranges extrêmités. Pour le plaisir de crever les deux yeux à l’homme dont elles se croient offensées, elles sont capables de s’en arracher un. Je ne sais que répondre à ce langage. Mais il me paraît impossible que Miss Harlove souffre les soins d’un autre amant. Et si-tôt, encore ! On nous assure au contraire qu’elle est fort mal, et d’une extrême foiblesse. Ce n’est pas dans ses ressentimens qu’elle est foible. Croyez-moi là-dessus. Je suis informé de tous ses mouvemens ; et soit que vous le croyez ou non, je puis vous dire qu’elle me refuse, dans la vue d’un autre amant. Est-il possible ? Rien n’est plus vrai. Vous figurez-vous qu’elle n’en ait pas communiqué quelque chose à Miss Howe ? Non assurément, monsieur. Si Miss Howe en avait le moindre soupçon, je ne vous troublerais pas aujourd’hui par cette visite. Vous voyez donc que je ne me suis pas trompé. Quoique Miss Harlove ne soit pas capable d’un mensonge, elle n’a pas découvert à son amie toute la vérité. Que dire sur de tels événemens (en baissant les yeux d’un air fort stupide) ! Dites, parlez, M Hickman. La matière est riche. Qui rendra compte des mouvemens et des agitations d’une femme passionnée ? De ma seule connaissance, je pourrais vous raconter un nombre infini d’histoires qui vous apprendraient des effets terribles du ressentiment des femmes. Mais demandez-vous un exemple plus fort que celui d’une jeune personne telle que Miss Harlove, qui, depuis quelque tems, et dans le