Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/456

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mon infortune ? Tous mes proches sont des insensés qui ne jugent que par l’événement, des gens à qui j’ai honte d’appartenir.

La lettre de Miss Howe contenait diverses réflexions de Miss Harlove, qui aboutissent à me rejeter entiérement ; et dans des termes si violens, si positifs ! Elle prétend néanmoins que la raison a plus de part à son refus que le ressentiment : mensonge aussi noir qu’il y en ait jamais eu ; et, pour preuve de sa modération, elle assure qu’elle est capable de me pardonner, et qu’elle me pardonne, à condition que je cesserai de la chagriner. Toute la lettre est tournée de manière à lui attirer plus d’admiration, mais à me rendre plus détestable. Ce qu’on raconte des agitations et de l’enthousiasme des quakres, n’approche pas de la scène que mes tendres parentes m’ont donnée, à la lecture de cette lettre et de quelques passages tirés de celles de ma belle implacable. Que de lamentations pour la perte d’une si charmante nièce ! Que d’applaudissemens donnés à sa vertu, à sa grandeur d’ame, à la noblesse de ses sentimens ! Combien de fois n’a-t-on pas répété la menace de me déshériter ! Moi, qui n’ai pas besoin de leurs reproches, pour sentir la pointe de mes remords et la rage de me voir abandonné ! Moi qui ne l’admire pas moins qu’eux ! Que diable dire ? Je me suis écrié, en les regardant d’un air furieux : " n’est-ce donc pas assez d’essuyer des mépris et des refus ? Puis-je apporter remède à son esprit implacable ? Mon intention ne serait-elle pas de réparer tous les maux que je lui ai fait souffrir " ? Il s’en est peu fallu que je ne les aie tous donnés au diable, avec elle même et Miss Howe pour compagnie ; et j’ai juré de bon coeur qu’elle n’en serait pas moins à moi. Je te le jure à toi-même. Dût-elle en mourir la semaine d’après, le nœud sera formé. Il le sera, j’en jure par le maître du ciel ; et Clarisse Harlove rendra l’ame avec le nom de Lovelace. Tu peux lui faire cette déclaration, si tu veux. Mais n’oublie pas de lui dire en même tems, que je n’ai aucune vue sur sa fortune, et que je la résignerai solemnellement en faveur de qui elle voudra, avec toutes mes prétentions, si elle meurt sans être mère. Je n’ai pas l’ame si basse, que sa fortune puisse me tenter. Qu’elle examine donc, pour elle-même, s’il ne lui est pas plus honorable de quitter ce monde avec le nom de Lovelace, qu’avec celui d’Harlove.

Mais ne t’imagine pas que je me repose entièrement, d’une cause si chère à mon cœur, sur un avocat qui a plus d’admiration pour ma partie que pour son client. Je me rendrai à Londres, dans peu de jours, avec la résolution de me jeter à ses pieds. Je serai accompagné d’un prêtre aussi résolu que moi ; et la cérémonie sera exécutée, quelles qu’en puissent être les suites.

Si, pour éviter cette extrêmité, elle voulait se rendre à l’une des deux églises dont la permission de l’évêque nous laisse le choix (cette permission est entre ses mains, et, grâces au ciel ! Elle ne me l’a pas renvoyée avec mes lettres), je promets de ne lui causer aucun trouble, mais de me trouver au pied de l’autel dans l’église qu’elle aura choisie ; et je m’engage à lui envoyer mes deux cousines pour l’accompagner, ou même à lui mener mes deux tantes et milord M, de la main desquels je me ferai un second bonheur de la recevoir.

Ou, s’il lui était plus agréable, je garantis qu’au premier mot, l’une ou l’autre de mes deux tantes, et toutes deux, s’il le faut, entreprendront le