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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/486

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qu’on avait voulu me le persuader ; mais je me suis bien gardé de leur communiquer une réflexion qui les aurait armées contre mes nouvelles entreprises. En un mot, je leur ai déclaré que je voulais la voir ; que je la verrais, mais avec tout le respect, avec toute la vénération dont un cœur était capable ; que depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, je ferais la visite de toutes les églises de Londres et de Westminster ; et que, jusqu’à l’heureux moment pour lequel je soupirais, elles me verraient autour de leur maison, comme un revenant, qui ne leur laisserait pas de repos. C’est avec cet adieu que je les ai quittées. Je suis rentré dans ma chaise, et je me suis fait porter à Lincoln’s-Inn, où j’ai attendu long-temps que la chapelle fût ouverte. J’y suis entré. J’ai assisté à toutes les prières, dans l’espérance de voir entrer ma chère Clarisse ; mais, espérance inutile ! Avec quelle ardeur ai-je prié mon bon ange, ou le sien, de me l’amener ! Réellement, je brûle plus que jamais de la revoir ; et si je l’avais aperçue dans l’église, je ne doute pas qu’au milieu de l’office, à la vue d’un millier de spectateurs, je ne me fusse jeté aux pieds de cette admirable fille, en poussant des cris pour implorer sa bonté : acte de christianisme, Belford, et digne par conséquent du lieu.

Après l’office, je suis retourné chez Smith, dans l’espoir de la surprendre. Mais il n’y a plus de bonheur pour ton ami. J’ai passé dans l’arrière-boutique deux heures entières à ma montre, et j’ai soutenu de nouvelles prédications des deux femmes. Jean m’a paru plus civil, et sensible apparemment au ton sérieux dont j’ai déclaré mes honorables vues. Mais on n’a pas cessé de me représenter qu’elle ne reviendrait pas de sa maladie. C’est toi, je m’imagine, qui leur inspire toutes ces idées.

Pendant que j’étais dans cette maison, un exprès a remis une lettre avec beaucoup de recommandation. Les femmes ont apporté tous leurs soins à me la cacher ; d’où j’ai conclu qu’elle était pour Miss Harlove. Cependant j’ai demandé la permission de jeter les yeux sur le cachet et sur l’adresse, en promettant de la rendre sans l’ouvrir. J’ai reconnu la main et les armes : elle était de sa sœur ; et j’espérais, ai-je dit aux deux femmes, qu’elle contiendrait d’heureuses nouvelles.

Je les ai quittées : mais je les reverrai bientôt ; car je me flatte que mes civilités, et le témoignage qu’elles m’auront rendu, me feront obtenir la grâce que j’ambitionne uniquement. J’allais laisser ma lettre ouverte, pour t’informer du succès de ma première visite ; mais ton laquais, qui vient m’offrir ses services, me détermine à la faire partir. Je t’en promets incessamment une autre ; à condition néanmoins que tu me donneras des nouvelles du pauvre Belton, pour lequel je fais tous les voeux de l’amitié.



M Belford à M Lovelace.

mardi, 22 d’août.

Je suis, depuis trois jours, dans une agitation si continuelle, à la vue d’un homme mourant et des scènes choquantes de l’agonie, que, ne me trouvant pas capable d’écrire régulièrement, je me suis réduit à jeter, sans ordre, les évènemens sur le papier, dans la vue de les rassembler avec plus de méthode lorsque je serais mieux disposé à me servir de ma plume.

Cette disposition me revient. L’indignation la rallume, à la lecture de tes dernières lettres, qui me donnent sujet de te faire un reproche fort sérieux. Tu as violé ta parole ; et si les effets de cette infidélité sont tels que je les appréhende, il est certain que j’aurai là-dessus d’autres explications avec toi.