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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/492

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mêler.

Mais, que signifie ma chûte au-travers du plancher, dans un horrible abîme ? Pourquoi suis-je descendu pendant qu’elle montait ? Ho ! Le voici : c’est une allusion à mon dégoût pour le mariage, qui me paraît un gouffre, un abîme sans fond, et tout ce que tu voudras. Si je ne m’étais pas éveillé dans un ridicule mouvement de frayeur, je serais tombé, au fond du trou, dans quelque belle rivière, où je me serais lavé, purifié de toutes mes ordures passées. La même figure m’attendait sur une rive parsemée de fleurs, d’où elle m’aurait conduit entre les bras de ma charmante ; et nous nous serions élevés ensemble triomphans, faisant les chérubins, jusqu’à la fin de notre carrière.

Mais quelle explication donner à cette mante, à ces robes noires de milord, qu’il m’a jetées sur le visage ? Et que penser de celles des dames ? Ho, Belford ! Je les explique aussi. Elles marquent uniquement que milord aura la bonté de se laisser mourir, et de m’abandonner tout ce qu’il possède. Ainsi, honnête milord M, que le ciel fasse paix à vos cendres ! Miladi Sadleir et miladi Lawrance ne survivront pas long-temps, et me laisseront des legs considérables.

Que ferons-nous de Miss Charlotte et de sa soeur ? Ho ! Leurs habits noirs marquent le deuil qu’elles prendront, comme il convient, pour leur oncle et pour leurs tantes. Rien de plus juste.

à l’égard de Morden, qui se précipite vers moi par une fenêtre, en criant : " meurs, Lovelace, si tu ne répares pas l’outrage que tu as fait à ma parente " ; c’est-à-dire seulement qu’il aurait voulu se couper la gorge avec moi, si je n’avais pas été disposé à rendre justice à sa cousine. Tout ce qui me déplaît, c’est cette partie de mon songe ; car, en songe même, je n’aime point les menaces, ni l’air de contrainte dans ce qui flatterait le plus mon penchant. Mais, qu’en dis-tu ? Mon songe prophétique n’est-il pas bien expliqué ?

Chère et charmante Clarisse ! Quelle scène, que cette entrevue avec son père, sa mère et ses oncles ! Quels transports ! Combien de plaisir cet heureux jour d’une réconciliation si long-temps désirée ne va-t-il pas faire goûter à son cœur tendre et respectueux ? Je t’assure que je me réjouis moi-même de lui voir tant de respect pour eux. C’est une conviction pour moi qu’elle n’en aura pas moins pour son mari, puisque l’amour du devoir est uniforme, lorsqu’il a sa racine dans le cœur. Vois à présent, Belford : je n’ai pas été si blâmable que tu l’as pensé. Si je ne l’avais pas jetée dans un si grand nombre d’embarras, elle n’aurait pu recevoir ni causer toute la joie dans laquelle ils vont nager tous ensemble. Ainsi, voilà un grand bien, un bien durable qui va naître d’un mal passager. Je n’ai jamais douté qu’ils ne l’aimassent, elle qui fait l’ornement et la gloire de leur famille. Je savais que cette querelle ne durerait pas long-temps.

Que ne donnerais-je pas pour lire la lettre d’Arabelle ! Elle a toujours été si mortifiée de se voir éclipsée par sa sœur, qu’elle n’aura pu s’empêcher de mêler un peu de fiel à l’heureuse invitation. Je brûle aussi de recevoir la lettre que la chère Clarisse me promet, lorsqu’elle sera rentrée chez son père. Elle me rendra compte, apparemment, de l’accueil qu’elle y aura reçu.

Cependant il me semble qu’en me communiquant le sujet de sa joie, son style est un peu grave. Il me plaît et me chagrine à-la-fois. Mais, comme il est évident qu’elle m’aime encore, et qu’elle espère de me revoir bientôt chez son père, elle n’a pu, sans quelque embarras, avouer son amour, après les petits excès auxquels je me suis emporté : et lorsqu’en finissant, je suis’, dit-elle, jusqu’à cet heureux jour, votre, etc. Clarice Harlove, n’est-ce pas dire, ce sera votre faute, après cela, si je ne suis pas Clarice Lovelace ?

ô