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pas effrayé d’un acte si lugubre, pourquoi le serait-on de la vue d’un cercueil ? Mes chères amies (en s’adressant aux deux femmes), j’ai pesé toutes ces réflexions. Seroit-il possible que depuis plusieurs semaines, avec un objet tel que moi devant les yeux, vous ne vous fussiez pas entretenues des mêmes idées ? Que de raison dans ce langage ! Il marquait assez qu’elle y avait pensé long-temps. Cependant je n’en ai pas été moins révolté par la vue d’un cercueil, en présence de l’aimable personne qui vraisemblablement ne tardera guère à le remplir. Elle a proposé aux femmes d’entrer dans sa chambre avec elle, pour le voir de plus près, en les assurant que ce spectacle leur paraîtrait moins choquant, lorsqu’il leur serait un peu plus familier. Je lui ai représenté que c’était nourrir dangereusement sa tristesse, et j’ai pris congé d’elle. Les femmes l’ont suivie. Sexe étrange ! Rien ne les arrête et n’est capable de les effrayer, lorsque la curiosité les presse, et qu’elles ont la nouveauté pour amorce.

Vendredi, premier septembre.

Je reçois ta lettre. Que ta gaieté m’étonne, au milieu de tant de scènes affligeantes ! Tes talens et ta légéreté pris ensemble, le monde n’a rien produit de semblable à toi. Mais ce que tu viens de lire doit t’avoir touché ; ou rien n’en sera jamais capable, jusqu’au jour de ta propre mort, que tes propres réflexions te feront trouver extrêmement terrible ! Cependant je suis charmé que tu me donnes le pouvoir d’assurer Miss Harlove que tu ne penses point à la troubler ; c’est-à-dire, en d’autres termes, qu’après avoir ruiné sa fortune et toutes ses espérances, tu veux bien la laisser mourir en paix.

Le présent que tu fais à la sœur de Belton, et la nécessité où tu as mis Tourville et Mowbray d’imiter ton exemple, sont des actions dignes de ta générosité pour ton bouton de rose ; dignes d’un grand nombre d’autres actions louables en matière pécuniaire, sur lesquelles je te rends volontiers témoignage ; car ton bouton de rose est le seul exemple d’une jolie femme à qui tu aies rendu service avec le même désintéressement. En vérité, Lovelace, je prends plaisir à te louer, et tu sais que j’en ai toujours saisi l’occasion, jusqu’au point que, ne trouvant rien dans ta conduite qui méritât mes éloges, j’ai applaudi souvent à la bonne grâce dont je te voyais faire des actions qui méritaient la corde. à présent que tu t’es rapproché, je t’écrirai aussi souvent que je croirai t’obliger par le récit des circonstances : mais je crains de n’être pas long-temps à t’apprendre la nouvelle que tu redoutes. Madame Smith m’envoie prier de me rendre chez elle, et me fait dire qu’elle doute si je trouverai Miss Harlove en vie à mon arrivée.

À deux heures, après midi.

Je ne veux pas fermer ma lettre, sans vous tirer d’une incertitude qui augmenterait beaucoup votre impatience. J’ai fait attendre exprès votre courrier. Miss Harlove avait perdu deux fois toute connaissance ; et le médecin qu’on avait fait appeler, craignant un troisieme accident, dont il n’espérait pas qu’elle pût revenir, avait jugé, qu’en qualité d’exécuteur je devais être averti. Elle était assez tranquille lorsque je suis arrivé. Le médecin lui a fait promettre, devant moi, de ne plus penser à sortir de sa chambre dans un état si foible. Madame Lovick, qui l’accompagne toujours à l’église, nous a fait trembler plusieurs fois du danger où elle s’expose pour satisfaire sa piété.

Je ne retiendrai votre laquais que pour me donner le temps de vous redemander mes dernières lettres, dont je n’ai pu trouver le moyen de garder des copies depuis mon retour d’Epsom. Si vous faites difficulté de m’obliger sur ce point, je serai tenté de retarder le départ de tout ce que j’aurai désormais à vous écrire, parce que je souhaite absolument d’en conserver le double.

Un messager arrive à ce moment, avec une lettre de Miss Howe.



Miss Howe à Miss Clarisse Harlove.

mardi au soir, 29 août.

Enfin, ma très-chère amie, je suis de retour ; et j’étais revenue dans l’espérance de passer par Londres, pour vous embrasser ; mais un accident que je reproche à la rigueur de mon sort, m’a privée d’une si douce satisfaction. Ma mère est tombée malade ; hélas ! Ma chère, elle est fort mal. Vous êtes très-mal aussi, comme je l’apprends par votre lettre du 25. Que deviendrais-je, si j’avais le malheur de perdre deux si chères