Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/523

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heures du matin.

Elle a tiré de son sein un portrait de Miss Howe en miniature, qu’elle y a toujours porté. Elle l’a confié à Madame Lovick, en la priant de le remettre sous une enveloppe adressée à M Hickman, et de le lui envoyer par mes mains après sa mort. Elle l’a considéré long-temps avant que de l’abandonner. Aimable et tendre amie… ma compagne… ma sœur ! A-t-elle dit en le baisant quatre fois de suite à chaque nom.

J’ai renvoyé votre dernier courrier sans réponse. Votre impatience est juste : mais croyez-vous que je puisse interrompre une conversation pour courir à ma plume, vous écrire, vous envoyer par lambeaux tout ce qui se présente ? Quand je le pourrais, ne voyez-vous pas qu’en écrivant une partie, je perdrais l’autre ?

Cet évènement n’est guère moins intéressant pour moi que pour vous. Si vous êtes plus désespéré que moi, je n’en connais qu’une raison, Lovelace, elle est au fond de votre cœur. Je consentirais plus volontiers à perdre tous les amis que j’ai au monde, sans vous excepter, qu’à la perte de cette divine personne. Je ne me rappellerai jamais ses souffrances et son mérite, sans me croire véritablement malheureux, quoique je n’aye rien à me reprocher sur le premier de ces deux points. Au reste, je fais moins cette réflexion pour la faire tomber sur vous, que pour exprimer toute la force de ma douleur, quoique votre conscience peut-être vous la fasse prendre autrement. Votre courrier, qui supplie, dit-il, pour sa vie, en me pressant de le faire partir avec une lettre, m’arrache celle-ci d’entre les mains. Un quart-d’heure de plus (car on me fait appeler) pourrait vous rendre apparemment, sinon plus tranquille, du moins plus certain ; et, dans un état tel que le vôtre, c’est un soulagement pour un homme tel que vous.



M Belford à M Mowbray.

mercredi, après midi.

Je suis ravi, cher Mowbray, d’apprendre que tu sois à Londres. Au moment que tu recevras cette lettre, jette-toi, s’il est possible, avec Tourville dans le chemin de l’homme qui, de tous les hommes du monde, mérite le moins l’affection d’un bon cœur, mais qui est assez digne de celle de Tourville et de la tienne. Les nouvelles que j’aurai vraisemblablement à lui marquer dans une heure ou deux, lui feront regarder comme son plus grand bonheur d’être annéanti.

Vous le trouverez entre le faubourg et Kensington, probablement à cheval, courant devant lui comme un furieux, et retournant aussi-tôt sur ses traces ; ou descendu peut-être dans quelque hôtellerie, pour observer le retour des courriers qu’il m’envoie.

Will, son valet de chambre m’arrive à l’instant ; il vous remettra ma lettre en chemin, et vous servira de guide. Partez sur le champ, en carrosse, à cheval, n’importe comment. Votre présence sauvera la vie au maître, ou à quelqu’un de ses gens. Voilà, messieurs, les heureux effets du libertinage triomphant ; tôt ou tard ils retombent sur nous, et tout se change en fiel le plus amer. Adieu.

Belford.