Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/531

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

possible, que jamais. Nous avons été si long-temps privés de vous, que nous sentons vivement le besoin de vous revoir, et la faim, la soif, si cette expression peut servir à me faire entendre, de vous serrer encore une fois sur notre cœur. Soyez sûre que vous n’en avez jamais été bannie si loin que notre chagrin nous l’a fait croire, et que vous vous l’êtes imaginé.

Votre frère et votre sœur parlent de vous aller voir à Londres, et je crois que c’est aussi le dessein de votre indulgente mère. Que le ciel vous rende à nous dans sa bonté !

Jules Harlove.



M Belford à M Lovelace.

vendredi au soir, 8 septembre.

Il faut vous rendre compte de toutes mes actions depuis ma lettre précédente, qui contenait la dernière scène de l’incomparable Clarisse.

Aussi-tôt qu’elle fut expirée, nous laissâmes le corps à la garde des femmes de la maison, qui, suivant les ordres qu’elle leur avait donnés le même jour, le mirent en possession de ce logement funeste qu’elle s’était préparé avec un courage si ferme et si tranquille. Hier au matin, le colonel vint me prendre chez moi. Il n’était pas encore revenu de son trouble. Nous nous rendîmes ensemble chez Smith, où nous ne pûmes nous défendre, en arrivant, de jeter encore une fois les yeux sur l’ange mortel, et d’admirer la sérénité qui régnait sur son visage. Les femmes nous dirent qu’elles n’avoient jamais vu la mort sous une figure si charmante. On l’aurait crue dans un doux assoupissement. Ses joues et ses lèvres n’avoient pas encore perdu tout-à-fait leur couleur vermeille. J’ouvris un tiroir dans lequel je savais d’elle-même que je devais trouver ses papiers. Le premier qui s’offrit à ma vue, était un paquet cacheté de trois sceaux en cire noire, avec cette inscription : " aussi-tôt que je ne serai plus, M Belford prendra la peine de lever l’enveloppe ". Je me reprochai beaucoup de ne l’avoir pas fait la veille ; mais j’étais réellement incapable de toute sorte d’attention.

Je rompis les cachets. Je trouvai, sous l’enveloppe, onze lettres, toutes cachetées en noir, dont l’une m’était adressée. Je ne fais pas difficulté de vous en envoyer une copie.

à Monsieur Belford.

dimanche au soir, 3 septembre.

Monsieur,

dans cette dernière et solennelle occasion, je dois vous renouveler mes remerciemens, pour les importans services que vous m’avez rendus, dans un temps où j’avais besoin de secours et de protection. Permettez que, de la région des morts, où je serai lorsque vous lirez cette lettre, je profite des circonstances pour vous donner la matière de quelques réflexions, avec toute la chaleur d’une sincère amitié.

Je me flatte humblement que, dans la dernière heure d’une personne qui vous souhaitera éternellement toutes sortes de biens, vous venez d’avoir un exemple de la vanité des fortunes du monde, et de l’importance d’être en paix avec soi-même.

Un grand homme, dont j’ai su le nom, se voyant au lit de la mort, déclara qu’il aurait mieux aimé pouvoir se rappeler le souvenir d’un verre d’eau qu’il aurait donné à quelque misérable, que celui d’un grand nombre de batailles qui lui avoient acquis la réputation d’un héros. Toutes les idées de grandeur mondaine s’évanouissent dans ce moment inévitable qui décide de la destinée des hommes.