Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/569

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par Saint-Albans, de la santé de la bonne Madame Norton, afin de vous en donner des nouvelles.

Je suis, mon cher monsieur,

Morden.



M Morden à M Belford.

monsieur,

nous sommes si mauvaise compagnie les uns pour les autres, que je n’ai pas de meilleur parti à prendre que celui de me retirer dans mon appartement, et d’écrire.

Environ neuf heures et demie, on me fit avertir pour déjeûner : la lugubre assemblée se formait lentement ; chacun prenait sa place d’un air d’affliction ; les visages étoient haves et abbatus ; on ne voyait que des yeux fatigués de répandre des pleurs.

L’on se demandait comment on avait passé la nuit, d’un ton qui annonçait la réponse fâcheuse à laquelle on s’attendoit.

L’inconsolable mère dit qu’elle ne connaîtrait plus le repos.

Au moment que nous étions rangés et tranquilles sur nos siéges, la cloche s’est fait entendre ; on a ouvert la porte des cours, et le bruit d’un carrosse roulant sur le pavé, a causé une émotion générale.

Je crois, monsieur, vous avoir ouï dire que vous n’aviez jamais vu Miss Howe. C’est une jeune dame dont les grâces se font d’abord remarquer ; une sombre mélancolie répandait ses nuages autour d’elle ; cependant, au travers de ces ombres, on voyait de temps en tems s’échapper les rayons d’un feu et d’une vivacité singulière : son attachement à ma chère cousine m’a inspiré pour elle une amitié, je puis dire un respect, que je conserverai toujours. Je ne pensais pas, me dit-elle en me donnant la main, rentrer jamais dans cette maison ; mais, morte ou vivante, ma chère Clarisse m’entraîne après elle. Nous entrâmes dans le petit parloir, où, jetant les yeux sur le cercueil, elle retira sa main de dedans la mienne, écarta précipitamment le dessus du cercueil, qui étoit défait, ôta le voile qui couvrait le visage, et, comme hors d’elle-même, leva ses mains jointes en haut, fixant tour à tour ses yeux sur le corps et vers le ciel, trop lent à la venger. Enfin, elle rompit le silence. Voyez-vous, dit-elle, voyez-vous la gloire et l’honneur de son sexe ? La voyez-vous, jetée dans les bras de la mort par l’exécration et la honte du vôtre ?

ô ma bienheureuse amie ! Ma chère compagne ! Lumière qui me conduisait !… baisant sa bouche à chaque nouveau nom qu’elle lui donnoit… quoi ! Toute la vie de ma Clarisse… après une petite pause et un profond soupir, elle se tourna vers moi, puis vers son amie… mais c’est elle ; peut-elle être réellement morte ? Non, non ; réveille-toi, ma tendre, ma chère amie : ne serais-tu qu’un argile insensible ? Ah ! Laisse-moi te rappeler à la vie ; partage le souffle qui m’anime… et lui donnant un baiser… que la chaleur de mes lèvres réchauffe les tiennes ! Elles sont glacées ! Elles sont muettes ! Soupirant encore du fond du cœur, comme déçue de l’espérance de l’entendre parler : est-il donc possible que la perfection finisse ainsi ? Est-il donc vrai que tu m’aies quittée, quittée pour jamais ? ô cruelle Clarisse !

Un silence de quelques instans succéda : paroissant revenir à elle-même, elle me regarda.

Pardonnez, me dit-elle, pardonnez, M Morden, à mon égarement ; je ne suis plus à moi, je n’y serai plus : vous ne connaissiez pas l’excellence, non, vous ne connaissiez pas la moitié des perfections que voilà dans les bras de la mort… ceci ne peut être… ce ne peut être tout ce qui me reste de ma Clarisse. Elle fit une autre pause. Une larme, ma hère, donne une larme seulement à l’état où je suis… mais non, cette tristesse silencieuse, ces ombres de la mort qui couvrent ton front… hélas ! Moi-même trouvé-je des pleurs ? Elles me refusent leurs secours ; mon cœur ne peut plus contenir ma douleur, j’y succombe ! Pourquoi, M Morden, l’a-t-on envoyée ici ? Pourquoi ne me l’a-t-on pas envoyée ? Elle n’a point de père, point de mère, point de parens : ne l’avoient-ils pas tous renoncée pour leur parente ? Pourquoi ne me l’a-t-on pas envoyée ? J’étais son amie, mon cœur lui appartenoit. Qui a plus de droit que moi aux restes de celle que je chérissais ? De vains noms, sans sentiment, seraient-ils de meilleurs titres que mon amour ?

Elle baisa encore une fois la bouche, le front et les joues de son amie ; un