Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/57

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d’un peu de curiosité ? Je vous vois sans cesse une plume à la main ; j’aime particuliérement le style épistolaire, et je suis plein d’admiration pour vos talens : est-il possible que, si près de mon bonheur, comme j’ai la présomption de m’en flatter, je ne brûle pas d’être admis dans une si douce correspondance. Quittez ma main, monsieur ! En frappant du pied contre terre. Comment osez-vous… à ce compte, je vois… je vois trop clairement… la voix lui a manqué pour achever sa pensée. Je l’ai cru prête à s’évanouir de colère et de frayeur. Au diable, si je voyais sur son charmant visage, ou si j’entendais dans sa voix mélodieuse, le moindre reste de sa douceur ordinaire. Après avoir été si loin, je regrettais extrêmement de lâcher prise. Je me suis saisi encore une fois de sa lettre chiffonnée. Impudent ! C’est le tendre nom qu’elle m’a donné. Pousserez-vous l’audace… en frappant encore du pied. J’ai pris le parti de renoncer à mon dessein, parce que je la voyais hors d’elle-même. Mais, auparavant, j’ai eu le plaisir d’avoir ma main dans les deux siennes, et de lui voir faire quantité d’efforts pour ouvrir mes doigts. Que mon cœur, à ce moment, était proche de ma main ! Il était porté, si tu ne ris pas de toutes ces expressions, jusqu’au bout de mes doigts ; dans le plaisir de me voir traité si familiérement, quoiqu’avec colère, par la souveraine de mes affections. Lorsqu’elle s’est vue en possession de sa lettre, elle a volé vers la porte. Mais, plus prompt encore à me jeter devant elle, je l’ai fermée, et j’ai pris le ton le plus humble pour lui demander pardon. Ici, crois-tu que le cœur un peu Harlove de ma charmante se soit laissé fléchir, malgré l’agréable nouvelle avec laquelle j’étais arrivé ? Non, sur ma foi. Elle m’a repoussé assez rudement, comme l’homme du monde dont elle se serait le moins souciée : (je ne suis pas fâché néanmoins d’avoir fait innocemment l’essai de ses forces) et la passion lui donnant une ardeur que la crainte m’avait fait perdre, elle n’a paru faire qu’un pas jusqu’à sa chambre. Graces à mon étoile, elle ne pouvait fuir plus loin. Après y être entrée dans la même chaleur, elle a fermé sa porte à double tour, avec un grand soin de pousser le verrou. Ma consolation, quand je pense à cette scène, c’est que, pour plus grande offense, sa colère ne peut aller plus loin. Je me suis retiré aussi dans mon appartement, le cœur, je t’assure, assez rempli ; et, n’ayant personne autour de moi, je me suis donné de mes deux poings un grand coup sur le front. Ma charmante est à présent dans sa chambre, refusant de me voir, refusant sa nourriture ; et, ce qu’il y a de pis, résolue, dit-elle, de ne me revoir de sa vie, si elle peut m’éviter. Je me flatte qu’elle veut dire, dans la disposition où elle est . Ces chères personnes devraient se souvenir, lorsqu’elles sont irritées contre leurs très-humbles serviteurs, de réserver toujours cette clause pour se mettre à couvert du parjure. Mais te figures-tu que je ne tournerai pas toutes mes inventions à découvrir la cause de tant de bruit, dans une aussi légère occasion que celle-ci l’aurait été, si les lettres des deux amies ne sentaient pas un peu la haute trahison.