Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/82

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jetés plus loin de toute espèce de conciliation. Cruelle alternative à laquelle je me voyais réduite ! Vous parlez de générosité , M Lovelace, vous parlez de justice, lui ai-je dit ; et c’est peut-être sans avoir considéré la force de ces deux termes, dans le sens où vous les employez. Je veux vous expliquer ce que c’est que la générosité, dans le sens que j’y attache. La véritable générosité ne se borne pas aux objets pécuniaires. Elle est plus que la politesse ; elle est plus que la bonne foi, plus que l’honneur, plus que la justice, puisque toutes ces qualités ne sont que des devoirs dont une créature raisonnable ne peut se dispenser. Mais la véritable générosité est la grandeur d’ame : elle nous excite à faire pour nos semblables, plus qu’on ne peut exiger de nous à la rigueur ; elle nous oblige de secourir avec empressement ceux qui ont besoin de secours, et de prévenir même leur espérance ou leur attente. La générosité, monsieur, ne permettra point à une belle ame de laisser du doute sur ses honorables et bienfaisantes intentions ; et bien moins lui permettra-t-elle d’offenser, de blesser personne, sur-tout ceux que l’infortune ou quelqu’autre accident a jetés sous sa protection. S’il eût été bien disposé, quelle occasion n’avait-il pas, dans la dernière partie de cette remarque, pour éclaircir toutes ses intentions ? Mais il ne s’est arrêté qu’à la première. " admirable définition, m’a-t-il dit ! Mais, à ce compte, chère miss, qui pourra jamais mériter le nom de généreux à votre égard ? J’implore votre propre générosité ; tandis que la justice fera mon seul objet, comme elle doit être mon seul mérite. Jamais une femme n’eut les sentimens si élévés et si délicats. " cette extrême admiration pour mes sentimens, ai-je repliqué, ne fait honneur ni à vous, ni à la compagnie où vous avez vécu. Vous trouveriez mille femmes plus délicates que moi ; car elles auraient évité le mauvais pas que j’ai fait sans le vouloir, et la nécessité où cette erreur me jette de donner des leçons de générosité à un homme qui n’a pas l’ame assez délicate pour concevoir ce qui fait la gloire et la distinction du caractère d’une femme. Il m’a nommée son divin précepteur . Il voulait s’efforcer, comme il m’en avait souvent assurée, de former son cœur par mes principes, et ses manières par mon exemple. Mais il espérait qu’à présent je lui permettrais de m’expliquer en peu de mots la justice qu’il se proposait de me rendre dans le plan des articles. Ici, ma chère, je me suis assez animée pour lui répondre que je ne me sentais pas actuellement la force de traiter un sujet de cette importance ; mais qu’il pouvait mettre ses idées par écrit, et que je saurais quelle réponse j’aurais à lui faire. Je l’ai prié seulement de se souvenir que, s’il touchait quelque point dans lequel mon père fut mêlé, je jugerais par la manière dont il traiterait le père, de la considération qu’il avait pour la fille. Ses regards m’ont fait juger qu’il aurait mieux aimé s’expliquer de bouche que par écrit ; mais s’il avait osé me le faire connaître, je me préparais à lui faire une réponse sévère, et peut-être s’en est-il aperçu à mes yeux. Voilà les termes où nous sommes à présent. Une espèce de calme a succédé à l’orage. Qui peut deviner, avec un esprit tel que le sien, si