Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/87

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beaucoup de chagrins. Je n’en accuse que votre amour. Mais vous ne devez pas être surpris que le nom de père fasse tant d’impression sur le cœur d’une fille toujours soumise et respectueuse avant que de vous avoir connu, et dont la tendre jeunesse demanderait encore l’œil d’un père. Il s’est tourné vers la fenêtre. Réjouissez-vous avec moi, ma chère Miss Howe, (puisqu’il faut que je sois à lui) de ce qu’il n’a pas le cœur tout-à-fait impénétrable à la pitié. Son émotion était visible. Cependant il s’est efforcé de la surmonter. Il s’est rapproché de moi. Le même sentiment l’a forcé encore une fois de se tourner. Il lui est échappé quelques mots parmi lesquels j’ai entendu celui d’ angélique . Enfin, retrouvant un cœur plus conforme à ses désirs, il est revenu à moi. Après y avoir pensé, m’a-t-il dit, milord M étant sujet à la goutte, il craignait que le compliment dont il venait de parler ne devînt l’occasion d’un plus long délai, et c’était se préparer à lui-même de nouveaux sujets de chagrin. Je n’ai pu répondre un seul mot là-dessus ; vous le jugez bien, ma chère. Mais vous devinez aussi ce que j’ai pensé de ce langage. Tant de profondeur, avec un amour si passionné ! Tant de ménagement tout-d’un-coup pour un oncle auquel il a si peu rendu jusqu’à présent ce qu’il devait ! Pourquoi, pourquoi mon sort, ai-je pensé en moi-même, me rend-il l’esclave d’un tel homme ? Il a hésité, comme s’il n’eût point été d’accord avec lui-même ; il a fait un tour ou deux dans la salle. Son embarras, a-t-il dit en marchant, était extrême à se déterminer, parce qu’il ignorait quand il serait le plus heureux des hommes. Que ne pouvait-il connaître ce précieux moment ? Il s’est arrêté pour me regarder (croyez-vous, ma très-chère Miss Howe, que je n’ai pas besoin d’un père ou d’une mère ?) mais, a-t-il continué, s’il ne pouvait m’engager aussi-tôt qu’il le souhaitait, à fixer un jour, il croyait, dans ce cas, qu’il pouvait faire le compliment à milord, comme ne le pas faire ; puisque, dans l’intervalle, on pourrait dresser les articles, et que ce soin adoucirait son impatience, sans compter qu’il n’y aurait pas de temps perdu. Vous jugerez encore mieux combien j’ai été frappée de ce discours, si je vous répète mot pour mot ce qui l’a suivi. " sur sa foi ! J’étais si réservée, mes regards avoient quelque chose de si mystérieux, qu’il ne savait pas si, dans le moment qu’il se flattait de me plaire, il n’en était pas plus éloigné que jamais. Daignerais-je lui dire si j’approuvais ou non le compliment qu’il voulait faire à milord M ? ". Il m’est revenu heureusement à l’esprit, ma chère, que vous ne voulez pas que je le quitte. Je lui ai répondu : " assurément, M Lovelace, si cette affaire doit jamais se conclure, il doit être fort agréable pour moi d’avoir une pleine approbation d’un côté, si je ne puis l’obtenir de l’autre. " il m’a interrompue avec une chaleur extrême. " si cette affaire doit se conclure ! Juste ciel ! Quels termes pour les circonstances ! Et parler d’ approbation ! Tandis que l’honneur de mon alliance faisait toute l’ambition de sa famille. Plût au ciel, mon très-cher amour, a-t-il ajouté, dans le même transport, que sans faire de compliment à personne, demain pût être le plus heureux jour de ma vie ! Qu’en dites-vous, chère Clarisse ? (avec un air tremblant d’impatience, qui ne paroissait point affecté) que dites-vous de demain ? " il