se rappelle sa téméraire expression, qu’elle serait sa femme, au prix même de sa damnation éternelle . Il avoue que, dans le même instant, il avait été prêt d’employer la violence ; mais qu’il avait été comme repoussé par un mouvement de terreur, en jetant les yeux sur son charmant visage, où, malgré la tristesse et l’abattement, il avait cru voir la pureté de son cœur dans chaque trait. " ô vertu ! Vertu ! Continue-t-il, qu’y a-t-il donc en toi qui puisse faire cette impression forcée sur le cœur d’un Lovelace ? D’où peuvent venir ces tremblemens involontaires, et cette crainte de causer une mortelle offense ? Qui es-tu, pour agir avec tant de force dans une foible femme, et pour jeter l’effroi dans l’esprit d’un homme intrépide ? Jamais tu n’eus tant de pouvoir sur moi ; non, pas même dans mon premier essai, jeune comme j’étais alors, et fort embarrassé de ma propre hardiesse jusqu’au moment du pardon. " il peint des plus vives couleurs cette partie de la scène où Miss Clarisse lui a dit : " que le nom de père avait pour elle un son doux et respectable : je ne te dissimule pas que je me suis senti vivement touché. La honte d’être surpris dans cet accès de tendresse efféminée, m’a fait faire un effort pour le subjuguer aussi-tôt, et pour me tenir plus en garde à l’avenir. Cependant j’ai presque regretté de ne pouvoir accorder à cette charmante fille la satisfaction de jouir de son triomphe. Sa jeunesse, sa beauté, son innocence, et cet air d’affliction que je ne puis décrire, semblaient mériter un instant de complaisance : mais son indifférence, Belford ! Cette résolution de me sacrifier à la malignité de mes ennemis ! Cette hardiesse d’avoir conduit son dessein par des voies clandestines ; tandis que je l’aime à la fureur, et que je la révère jusqu’à l’adoration ! C’est avec le secours de ces idées que j’ai fait reprendre courage à mon traître cœur. Cependant je vois que, si le courage ne l’abandonne point elle-même, il faut qu’elle l’emporte. Elle a déjà fait un lâche de moi, qui n’ai jamais connu la lâcheté. " il finit sa quatrième lettre par des emportemens de fureur, à l’occasion du refus qu’elle a fait de lui laisser prendre un baiser. Il avait espéré, comme il l’avoue, de ne lui trouver que de la condescendance et de la bonté après ses propositions. " c’est une offense, dit-il, que je n’oublierai jamais. Compte que je m’en souviendrai pour rendre mon cœur d’acier, et capable de fendre le rocher de glace que j’ai à traverser jusqu’au sien ; pour la payer avec usure du dédain, du mépris qu’elle a fait éclater dans ses yeux en me quittant, après la conduite obligeante que j’avais tenue avec elle, après mes instances pour obtenir qu’elle me nommât le jour. Les femmes de cette maison prétendent qu’elle me hait, qu’elle me méprise. Rien n’est si vrai. J’ouvre les yeux. Elle me hait. Elle doit me haïr. Pourquoi ne suivrais-je pas le conseil qu’on me donne ? Il faut le suivre… je ne serai pas long-temps méprisé de l’une et raillé des autres. " il ajoute que son dessein de le quitter, si ses parens avoient voulu la recevoir, et la liberté qu’elle a prise, dimanche dernier, de faire venir un carrosse, dans la résolution peut-être, de ne pas reparoître si elle était sortie seule, (car ne lui a-t-elle pas déclaré qu’elle pense à se retirer dans quelque village voisin de la ville ?) l’ont alarmé si vivement,
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