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Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/93

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toute la famille des Harloves, et celle même des Howes ne sont que des machines que tu fais servir, sans qu’elles le sachent, à tes projets de libertinage et de vengeance, qu’es-tu toi-même, que l’instrument d’un frère implacable et d’une sœur jalouse, pour causer toutes sortes de chagrins et de disgrâces à la plus excellente femme du monde ? Peux-tu souffrir, Lovelace, qu’on te regarde comme la machine de ton ancien ennemi James Harlove ? N’es-tu pas même la dupe d’une ame encore plus vile, ce Joseph Léman, qui se sert bien plus, par tes libéralités, qu’il ne te sert toi-même par le double rôle que tu lui fais jouer ? Ajoute que tu es aussi l’agent du diable, qui peut seul te récompenser comme tu le mérites, et qui n’y manquera pas, je t’assure, si tu persistes dans ton noir dessein, et si tu l’exécutes. Quel autre que toi pourrait faire, avec autant d’indifférence que j’en remarque dans tes termes, les questions que tu me fais dans ta dernière lettre ? Relis-les ici, cœur de diamant ! " où fuirait-elle pour m’éviter ? Ses parens ne la recevront point. Ses oncles ne fourniront point à sa subsistance. Sa chère Norton dépend d’eux, et n’est point en état de lui faire des offres. Miss Howe n’oserait la recevoir. Elle n’a point à Londres d’autre ami que moi, et la ville est un pays étranger pour elle. " quel doit être le cœur qui est capable de triompher d’une si profonde affliction, où elle ne se trouve plongée que par tes inventions et tes artifices ? Et quelle douce, mais triste réflexion que la sienne, qui a presque amolli ta dureté, à l’occasion du nom de père, sous lequel tu lui proposais milord M pour le jour de la célébration ? La tendresse de son âge lui faisait souhaiter un père, lui faisait espérer un ami. Ah ! Cher Lovelace, te résoudras-tu à devenir un démon pour elle, au lieu du père que tu lui as ravi ? Tu sais que je n’ai aucun intérêt, que je ne puis avoir aucune vue en souhaitant que tu rendes justice à cette admirable fille. Pour l’amour de toi-même, je t’en conjure encore une fois pour l’honneur de ta famille, pour celui de notre humanité commune, sois juste à l’égard de Clarisse Harlove. N’importe si ces instances conviennent à mon caractère. J’ai été et je suis encore assez méchant. Si tu reçois mon conseil, qui est, comme tu le verras dans la lettre de ton oncle, celui de toute ta famille, peut-être auras-tu raison de me dire que tu n’es pas plus méchant que moi. Mais si ton cœur s’endurcit contre mes reproches, et si tu ne respectes pas tant de vertus, toute la méchanceté d’une légion de diables, lâchés dans une troupe d’ames innocentes, avec plein pouvoir de leur nuire, ne commettrait pas autant de mal, ni un mal aussi bas que celui dont tu veux te rendre coupable. On dit ordinairement que la vie d’un monarque, assis sur son trône, n’est pas en sûreté, s’il se trouve quelque désespéré qui méprise la sienne. On peut dire de même que la vertu la plus pure n’est point à couvert, s’il se trouve un homme qui compte pour rien son propre honneur, et qui se fasse un jeu des protestations et des vœux les plus solemnels. Tu peux, par tes ruses, tes chicanes, tes fausses couleurs, toi qui est pire en amour qu’un démon en méchanceté, vaincre une pauvre fille que tu as trouvé le moyen d’embarrasser dans tes filets, et que tu as privée de toute sorte de protection. Mais considère s’il ne serait pas plus juste et plus généreux à son égard, plus noble à l’égard de toi-même, d’étouffer tes misérables désirs. Il