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gueux des champs

Et veut que tu sois tout à elle, et tout le jour.
Féconde-la, vilain, sans penser à l’amour. —
Et le dur paysan baise la terre grise
Sans humer les senteurs qui flottent dans la brise,
Sans ouvrir sa poitrine aux souffles embrasés.

Où vous poserez-vous, vols errants de baisers,
Essaim tourbillonnant des amoureuses fièvres ?

Heureusement pour vous que les gueux ont des lèvres.
....................

(Ici deux gueux s’aimaient jusqu’à la pâmoison,
Et cela m’a valu trente jours de prison.)

....................

Ô gueux, enivrez-vous de l’amour printanière !
Allez, sous le buisson qui vous sert de tanière,
Personne ne vous voit que le bois et le ciel.
L’abeille, qui bourdonne en butinant son miel,
Ne racontera pas les choses que vous faites.
Le papillon, joyeux de voir les champs en fêtes,
Vole sans bruit parmi la plaine aux cent couleurs,
Et pour vous imiter conte fleurette aux fleurs.
Seul, un oiseau, perché sur la plus haute feuille,
Entend les mots qu’on dit et les baisers qu’on cueille,
Et semble se moquer de vous, le polisson !
Mais tout ce qu’il raconte en l’air n’est que chanson.
Aimez-vous ! Savourez, loin du monde et des hommes,
Ce qu’on a de meilleur sur la terre où nous sommes !