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la chanson des gueux

Où rôde le troupeau ténébreux des névroses ;
Musique où l’on entend sangloter des grelots
Et tintinnabuler le hoquet des sanglots ;
Gai carnaval hanté de visions farouches ;
Alcôve où les baisers qui se collent aux bouches,
Voraces, font des trous comme le vitriol ;
Absinthe à l’opium, délicieux alcool,
Dont tu bus en gourmand la plus atroce lie,
Et dont tu te grises jusques à la folie.

De ce lac infernal, de ce gouffre rongeur,
Tu sortis haletant, pâle, ainsi qu’un plongeur.
Mais tes deux mains étaient toutes pleines de perles.
Ô flots, écartez-vous ! Va-t’en, mer qui déferles !
Laissez donc aborder chez nous ce conquérant !
Mais les flots sont jaloux et la mer te reprend ;
Et dans la mort sans fond, avant d’être sorties,
Tes perles avec toi retombent englouties.

Nous avons entrevu ces trésors. Tu fus grand !
À nous entendre ainsi t’admirer en pleurant,
Les gens qui ne t’ont pas connu peuvent sourire.
Tu fus grand ! Nous serons deux ou trois pour le dire.
Non, tu n’as rien laissé pour attester ton nom.
Mais si tu ne l’as pas frappé, ce tympanon
Qu’on appelle la gloire et qui sonne si vide,
C’est que tu fus trop grand pour t’en sentir avide.
Sans parents, sans amis presque (car, toujours seul
Tu t’enfermais en toi comme dans un linceul),
Ton cœur, fleur merveilleuse à la tige élancée,