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les gas

Et sans respect de lui sombrant au fond des verres.
Aussi les rudes gas de là-bas, gens sévères,
N’avaient-ils pas pour lui grande estime, étonnés
Que nous prissions plaisir à voir fleurir son nez.
Car nous l’arrosions ferme ; et souvent, par ma faute,
J’ai dû le ramener, le bonhomme, à son hôte,
Comme un bateau noyé roulant la quille en l’air.
Sans doute il avait tort. Nous encor plus, c’est clair.
Eh bien ! non, après tout. Lui guérir sa pépie,
Lui donner du bon temps, c’était faire œuvre pie.
Pauvre diable, il rentrait si gai dans sa maison,
Si ben aise ! Ma foi, oui, nous avions raison.
Et d’ailleurs, nous étions ses obligés, je pense.
On lui payait son dû, de lui garnir la panse.
Pour quelques coups de vin, quelques mauvais repas,
En échange et comptant que ne donnait-il pas !
Chansons de mathurin, chefs-d’œuvre populaires,
Ses voyages partout, depuis les mers polaires
Jusqu’au voluptueux Eden de Tahiti !
Il ne s’arrêtait plus quand il était parti.
Et tout cela bien mieux qu’un livre ou qu’un poëme,
Avec ses imprévus de peuple, de bohème,
De philosophe, et, par instant, le mot profond,
Ainsi que les enfants et les pauvres les font.
Tenez, il en est un, simple et grand, qui me reste.
Peut-être est-ce la voix, le regard et le geste
Qui me firent alors en être tout frappé.
Non, pourtant. Il est grand, ou je suis bien trompé.
Il me semble expliquer par quelle loi chérie
S’enracine en nos cœurs l’amour de la patrie ;