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la mer

Mais de robustes gas qui n’ont rien d’éphémère,
Plantés pour reverdir, forts comme père et mère,
Rétus avant de naître et poilus en naissant.
Ayant déjà dans leur regard phosphorescent
La couleur de la mer que boiront leurs prunelles
Et le vague infini qu’ont les vagues en elles ;
Car, fille et sardinière, ou fils et matelot,
Tous auront la même âme, et c’est l’âme du flot.
Chantez en y pensant, chantez vos cantilènes,
Sardinières ! Chantez, et que par vos haleines
La mer féconde fasse entrer dans vos poumons
Le suc de sa marée et de ses goëmons !
Chantez, et respirez aux relents de la salle
Toute la vie en fleurs, tout l’amour qu’elle exhale !
Chantez ! Imprégnez-vous de sa maternité !
Et que ce soir, après votre ouvrage quitté,
Les galants qui viendront vous chercher à la porte
Se grisent de l’odeur que votre jupe emporte,
Et, tout enveloppés aussi de ce même air.
Baisent dans vos baisers les baisers de la mer !
Aimez-vous et croissez, bonnes races marines
Aux cœurs jeunes toujours dans vos larges poitrines !
Le monde est vieux, et les mâles y sont perclus.
Faites donc des enfants pour ceux qui n’en font plus !
Les temps ne sont pas loin où la disette d’hommes
Éteindra toutes nos Lesbos et nos Sodomes
Qui s’anéantiront dans leur stérilité.
Mais le flambeau sur qui souffle un vent irrité,
Vous le sauverez, vous, de nos morts ténébreuses,
Braves gens, pauvres gens aux familles nombreuses,