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la mer


Mère très-pure, ô mer où les algues flétries,
Les éléments dissous, les corps décomposés,
Les putréfactions et les pouacreries,

Pour des êtres nouveaux bientôt organisés
Retrouvent la jeunesse et sa fleur d’innocence
Dans ta suave haleine et tes vivants baisers !

Mère très-pure en qui la mort devient naissance,
Mère très-pure en qui l’immonde s’abolit,
Mère très-pure en qui l’impur change d’essence !

Mère très-chaste, nul ne partage ton lit,
Ni le soleil royal l’embrasant de son faste,
Ni l’homme qui de sa vermine le salit,

Ni le vent qui s’y vautre en rut et le dévaste.
Dans ce lit tout ouvert ton corps s’offre tout nu ;
Mais il reste à jamais sacré, Mère très-chaste.

Car, Mère toujours vierge, aucun ne l’a tenu
Pantelant dans ses bras, pâmé sous ses caresses.
Et l’homme vieillira, le vent sera chenu,

Le soleil décrépit perdra l’or de ses tresses,
Tous tes amants seront dans la caducité,
Eux, vainqueurs qui comptaient par milliers leurs maîtresses,

Eux, don Juans au désir sans relâche excité,
Tous s’useront dans leur concupiscence vaine,
Avant d’avoir fait brèche à ta virginité.