Page:Richepin - La Mer, 1894.djvu/334

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
320
la mer


Connaissant qu’eux aussi mourront à la même heure
Où la brume suprême aura quitté le sol,
Ils tremblent, sans pouvoir empêcher qu’elle meure.

Comme au lit d’un malade on guette encor le vol,
Sur un miroir, de son haleine exténuée,
Par moments vers l’espace ils redressent leur col

Pour voir sur l’implacable azur quelque nuée.
Mais le souffle qui va s’envoler est trop peu
Pour ternir ce mincir de sa vague buée.

Il s’évanouira dans cet abîme bleu.
Il s’y sera fondu sans marquer qu’il y passe,
Sans même que personne ait pu lui dire adieu.

Et pourtant, ce qui fuit avec lui dans l’espace.
Ce qui disparaît là pour ne revenir plus,
À jamais absorbé par l’infini rapace,

C’est l’antique fracas des flux et des reflux.
C’est l’hymne séculaire entonné par les grèves,
Les fleuves, les moissons et les bois chevelus ;

C’est tout ce qui vibrait, clamait, chantait sans trêves :
La plante, et l’animal, et le cœur agité
De l’homme où bouillonnaient tant de vœux, tant de rêves

C’est avec tous ses bruits toute l’humanité,
Depuis les jours lointains où nous étions des brutes
Au jours où l’on bâtit la dernière cité ;