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LA MORT DES DIEUX

J’en avais assez vu pour être soûl d’horreurs,
Et je ne croyais pas qu’après tant de fureurs,
Après le sang coulant des corps comme d’un crible,
Il me restait encore à voir le plus terrible.
J’ouvris les yeux. Et sur les flancs ardus des monts
S’étageait une foule immense de démons
Grouillant comme des flots sous un vent de colère,
Et qui se détachaient noirs sur la flamme claire.
Car ces hommes démons attisaient de grands feux
Dont la langue pointue allait piquer les cieux.
Et le vieillard, l’enfant, le mâle, la femelle,
Les générations, s’entassaient pêle-mêle,
Craquant et pétillant tels que des brins d’osier,
Sous la robe flottante et rouge du brasier.
Des colosses d’airain, chauffés à blanc, le ventre
Roide et tendu, la gueule ouverte comme un antre,
Piétinaient un bûcher croulant, monstre vaincu
Qui leur léchait les pieds et leur baisait le cul ;
Et, bourrés de vivants qui flambaient comme paille,
Gavés, ils digéraient en ronflant leur ripaille,
Bavant une fumée épaisse entre leurs crocs
Dans des mugissements entrecoupés de rots.
Çà et là se cabraient des torches toutes droites
Qui tordaient dans le vent leurs spirales étroites
Et semblaient vous parler avec des gestes fous.
Alors on distinguait des têtes sur des cous ;