Aller au contenu

Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
172
LES MORTS BIZARRES

discutait en lui-même les différents moyens d’accomplir son projet.

Une inspiration insensée illumina soudain son esprit.

Il ramassa sa torche qu’il avait jetée ; il la planta dans une pointe de corail. Puis il commença sa besogne. Ayant pris les corps de Jean et de Jeanne, il les enroula de ses cordes comme de bandelettes, de façon à ce qu’ils ne pussent se détacher des bras l’un de l’autre. Puis il les mit sur son dos, et, tandis qu’il les appuyait au rocher pour les maintenir dans cette position, il se lia lui-même avec eux, par les épaules et par le cou. Ainsi il ne formait plus qu’un avec ces deux cadavres.

Alors, ployant sous le fardeau, mais néanmoins d’un pas délibéré, il s’avança vers le lac, la torche en main.

Pourquoi cette torche ? Il n’en savait rien. Il marchait ainsi, comme poussé par une fatalité. Il était dans un de ces moments où l’esprit affolé ne guide plus le corps, mais se laisse entraîner lui-même par un souffle d’égarement.

Il entra dans les flots lourds et noirs qui miroitaient sous la lumière fauve. Il s’y enfonça peu à peu, pas à pas.

Quand il eut de l’eau jusqu’au cou, il jeta au loin sa torche qui s’éteignit en sifflant dans le lac. Puis il s’arrêta un instant, les yeux grands ouverts dans la nuit, la bouche souriante à l’idée de la mort. Un lambeau de chanson lui passa dans la cervelle, et il chanta machinalement en se laissant couler :