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Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/189

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UN LÂCHE

aidé par celui-ci, logé par celui-là, nourri un peu par tout le monde. Car il était connu dans cette famille de bohème qui vit sur les planches et qui a le cœur sur la main. Mal élevé, habitué à un luxe interlope et à la fainéantise, ne sachant d’ailleurs aucun métier, ayant reçu une instruction à la diable, de bric et de broc, il était incapable, comme disent les gens du peuple, de faire œuvre de ses dix doigts. Un an, deux ans, furent usés dans cette paresse. Il se laissait couler dans l’inertie. De temps en temps un accès de honte et de dignité le prenait. Alors il trouvait des résolutions, alors il se décidait au travail. Mais tout cela fondait dans un déluge de larmes inutiles. Comme, malgré tout, c’était un charmant garçon, original, bizarre, et plus à plaindre en somme qu’à blâmer, je lui avais souvent témoigné une amitié pitoyable, et j’étais presque toujours le confident de ces crises qui commençaient par des révoltes et finissaient en pleurnicheries.

Toutefois, je ne l’avais jamais vu aussi profondément navré, aussi lugubrement découragé que le jour où il m’emmena au fond de ce val perdu. Ce jour-là, ce n’étaient plus des larmes d’enfant qui mouillaient ses joues ; c’étaient des sanglots d’homme qui lui secouaient la poitrine.

Je le calmai un peu, par quelques bonnes paroles. À mon grand étonnement, il ne se laissa pas dorloter par les consolations, comme il faisait d’ordinaire. Il coupa court brusquement à mes câlineries, et me regarda en face avec une résolution tranquille.