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Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/191

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UN LÂCHE

mon parasitisme. Aujourd’hui je sens que je deviens ignoble ; et, ce qui est plus épouvantable encore, je sens que je n’ai pas assez de force pour cesser de l’être. Ne m’interrompez pas, je vous en prie ! Vous allez me dire apparemment que ce n’est pas ma faute, que ma déplorable éducation est cause de tout, et que je puis encore m’amender. Non, mon ami, je ne le puis pas. Je me connais à fond et je sais exactement la limite de mon honnêteté. Si je continue à vivre, je deviendrai une canaille. Ce n’est pas pour rien que j’ai dans les veines le sang d’un drôle et d’une fille. Fatalement je dois chasser de race. Il n’y a qu’un moyen d’empêcher cela, c’est de mourir. D’ailleurs, mon ami, j’ai encore d’autres raisons à vous donner, et de plus irréfutables. J’aime une jeune fille. Je l’aime profondément. Voilà de quoi se racheter, pensez-vous ! Vous êtes de ceux qui croient aux réhabilitations par l’amour. Celle-là aussi m’est fermée, mon ami. Cette jeune fille que j’aime, je ne puis d’abord m’en faire aimer. Elle est pure, riche, adorée, et ce n’est pas pour un bohème, pour un pique-assiette, pour un bâtard, pour un enfant de la balle comme moi, que le four chauffe ! Et quand bien même je pourrais en être aimé, ce serait plus horrible encore. Vous ne comprenez pas ? Il faut que je vous dise tout, puisque vous êtes en quelque sorte mon confesseur. Le sang de mes parents ne m’a pas transmis seulement le mal moral, il m’a infecté aussi d’un mal physique. Et ce mal, des débauches précoces l’ont fait fleurir dans mon pauvre corps, Comprenez-vous,