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Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/218

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LES MORTS BIZARRES

E pur, si muove ! J’ai quelque chose là ! se disait-il avec conviction en frappant de son doigt la boîte osseuse de son crâne, qu’il croyait profond parce qu’il sonnait creux.

On ne saurait croire à quelles aberrations peut pousser la vanité littéraire. Il y a des hommes de véritable talent qu’elle a jetés dans des ridicules inconcevables, et même qu’elle a induits à commettre des actes honteux ou odieux. Qu’est-ce donc lorsqu’elle tourmente un misérable d’une nullité avérée ? La patience épuisée, l’orgueil aigri, l’impuissance acquise, une vie gâchée par un espoir inutile et tenace, il n’en faut pas tant pour enfanter l’idée d’en finir par un suicide ou d’en sortir par un crime.

Oscar Lapissotte n’était pas assez brave pour choisir la mort. D’ailleurs, ses prétentions à la supériorité intellectuelle trouvèrent une pâture dans la résolution d’un crime. Il se dit en effet que son génie avait jusqu’alors fait fausse route en s’appliquant aux rêves de l’art, et qu’il était destiné aux violences de l’action. D’autre part, le crime rapporterait une fortune, et la richesse mettrait enfin en pleine lumière cet esprit transcendant qui s’étiolait dans la pauvreté. Artistiquement et moralement, l’incompris se prouva donc qu’il était nécessaire de commettre un crime.

Il le commit. Et, comme si la réalité voulait lui donner raison, pour la première fois de sa vie il fit un chef-d’œuvre.